Le rempart
Jules Romains
Le 6 octobre, in Les Hommes de bonne volonté I,
1932.
"Le rempart émoussait
l’élan des quartiers neufs, arrêtait les avenues, les coupaient
de leurs prolongements, maintenait beaucoup de rues de l’extrême
périphérie à l’état de culs-de-sac ou de
coupe-gorge, y laissait fermenter les voyous et les ordures. De proche en proche,
la pression se communiquait jusqu’au centre. Les rues des vieux quartiers
renonçaient à s’élargir. Les anciennes maisons bourgeoises
qu’on n’abattait plus dégénéraient sur place
en taudis purulents. Les logements noircissaient dans un air mal remué qui
finissait par vieillir comme eux. C’est l’enceinte qui, de loin,
y comprimait les familles, couchait les gens les uns contre les autres sur
des lits pliants, sur des matelas à même le sol, dans des salles à manger
au plafond bas, dans des cuisines, des couloirs, des réduits sans fenêtre.
C’était elle qui obligeait les bâtisseurs à dresser
des maisons étroites sur des bouts de terrain taillés de travers,
elle qui, peu à peu, par écrasement, éliminait les jardins
intérieurs, les cours plantées d’arbustes ; qui, jusque
sur les grands boulevards, serrait les files de voiture, rapprochait les moyeux."