"Le 4 octobre dernier [1926], à la fin d’un de ces après-midi tout à fait désœuvrés et très mornes, comme j’ai le secret d’en passer, je me trouvais rue Lafayette : après m’être arrêté quelques minutes devant la vitrine de la librairie de L’Humanité et avoir fait l’acquisition du dernier ouvrage de Trotski, sans but je poursuivais ma route dans la direction de l’Opéra. Les bureaux, les ateliers commençaient à se vider, du haut en bas des maisons des portes se fermaient, des gens sur le trottoir se serraient la main, il commençait tout de même à y avoir plus de monde. J'observais sans le vouloir des visages, des accoutrements, des allures. Allons, ce n'étaient pas encore ceux-là qu'on trouverait prêts à faire la Révolution. Je venais de traverser ce carrefour dont j'oublie ou ignore le nom, là, devant une église. Tout à coup, alors qu'elle est peut-être encore à dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, très pauvrement vêtue, qui, elle-aussi, me voit ou m'a vu. Elle va la tête haute, contrairement çà tous les autres passants. Si frêle qu'elle se pose à peine en marchant."