La reproductibilité
Walter Benjamin
L’œuvre d’art à l’époque de sa
reproductibilité technique (dernière version de 1939),
traduction Maurice de Gandillac et Rainer Rochlitz, in Œuvres,
III, Gallimard Folio, 2000, p. 274-275.
"Tout ce qui relève de l’authenticité échappe à la
reproduction – et bien entendu pas seulement à la reproduction
technique. Mais, en face de la reproduction faite de main d'homme
et généralement considérée comme un faux, l'original
conserve sa pleine autorité ; il n'en va pas de même en ce
qui concerne la reproduction technique. Et cela pour deux raisons. En premier
lieu, la reproduction technique est plus indépendante de l'original
que la reproduction manuelle. Dans le cas de la photographie, par exemple, elle
peut faire ressortir des aspects de l'original qui échappent à l'œil
et ne sont saisissables que par un objectif librement déplaçable
pour obtenir divers angles de vue ; grâce à des procédés
comme l'agrandissement ou le ralenti, on peut atteindre des réalités
qu'ignore toute vision naturelle. Voilà pour le premier point. En
second lieu, la reproduction technique peut transporter la reproduction
dans des situations où l'original lui-même ne saurait jamais
se trouver. Sous forme de photographie ou de disque, elle permet surtout
de rapprocher l'œuvre du récepteur. La cathédrale
quitte son emplacement réel pour venir prendre place dans le studio
d’un amateur ; le mélomane peut écouter à domicile
le chœur exécuté dans une salle de concert ou en plein
air."