Reflets, fantômes
André Breton
Nadja, (1964), Paris Gallimard Folio, 2005, p.
9-10.
"Qui suis-je ? Si par exception je m'en rapportais à un
adage : en effet pourquoi tout ne reviendrait-il pas à savoir qui je "hante" ?
Je dois avouer que ce dernier mot m'égare, tendant à établir
entre certains êtres et moi des rapports plus singuliers, moins inévitables,
plus troublant que je ne pensais. Il dit beaucoup plus qu'il ne veut rien dire,
il me fait jouer de mon vivant le rôle d'un fantôme, évidemment
il fait allusion à ce qu'il a fallu que je cessasse d'être, pour être qui je
suis. Pris d'une manière à peine abusive dans cette acception,
il me donne à entendre que ce que je tiens pour les manifestations objectives
de mon existence, manifestations plus ou moins délibérées,
n'est que ce qui passe, dans les limites de cette vie, d'une activité dont
le champ véritable m'est tout à fait inconnu. La représentation
que j'ai du "fantôme" avec ce qu'il offre de conventionnel
aussi bien dans son aspect que dans son aveugle soumission à certaines
contingences d'heure et de lieu, vaut avant tout, pour moi, comme image finie
d'un tourment qui peut être éternel. Il se peut que ma vie ne
soit qu'une image de ce genre, et que je sois condamné à revenir
sur mes pas tout en croyant que j'explore, à essayer de connaître
ce que je devrais fort bien reconnaître, à apprendre une faible
partie de ce que j'ai oublié."