Le lieu d’un crime
Walter Benjamin
L’Œuvre d’art à l’époque de sa
reproductibilité technique, deuxième version de 1939,
traduction Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz, in Œuvres III,
Gallimard Folio essais, 2000, pp. 285-286.
" […] dès que l’homme est
absent de la photographie, pour la première fois la valeur d’exposition
l’emporte décidément sur la valeur cultuelle. L’exceptionnelle
importance des clichés d’Atget, qui a fixé les rues désertes
de Paris autour de 1900, tient justement à ce qu’il a situé ce
processus en son lieu prédestiné. On a dit à juste titre
qu’il avait photographié ces rues comme on photographie le lieu
d’un crime. Le lieu du crime est lui aussi désert. Le cliché qu’on
en prend a pour but de relever des indices. Chez Atget les photographies commencent à devenir
des pièces à conviction pour le procès de l’histoire.
C’est en cela que réside leur secrète signification politique.
Elles en appellent déjà à un regard déterminé.
Elles ne se prêtent plus à une contemplation détachée.
Elles inquiètent celui qui les regarde ; pour les saisir, le spectateur
devine qu’il lui faut chercher un chemin d’accès."