La redistribution de l’espace
Michel De Certeau
L’écriture de l’histoire, Paris,
Gallimard, 1975, p. 84 et 86.
"En histoire, tout commence avec le geste de mettre à part,
de rassembler, de muer ainsi en "documents" certains objets répartis
autrement. Cette nouvelle répartition culturelle est le premier travail.
En réalité elle consiste à produire de tels documents,
par le fait de recopier, transcrire ou photographier ces objets en changeant à la
fois leur place et leur statut. Ce geste consiste à "isoler" un
corps, comme on le fait en physique, et à "dénaturer" les
choses pour les constituer en pièces qui viennent combler les lacunes
d'un ensemble posé a priori. Il forme la "collection". Il
constitue des choses en "système marginal" comme dit Jean
Baudrillard ; il les exile de la pratique pour les établir en objets "abstraits" d'un
savoir. Bien loin d'accepter les données, il les constitue. Le matériau
est créé par les actions concertées qui le découpent
dans l'univers de l'usage, qui vont le chercher aussi hors des frontières
de l'usage et qui le destinent à un réemploi cohérent.
Il est la trace des actes qui modifient un ordre reçu et une vision sociale.
Instauratrice de signes offerts à des traitements spécifiques,
cette rupture n'est donc pas seulement ni d'abord l'effet d'un "regard".
Il y faut une opération technique.
[...]
L’établissement des sources requiert aujourd'hui aussi un
geste fondateur, signifié comme hier par la combinaison d'un lieu, d'un "appareil" et
de techniques."