Tigre et ours
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Les fauves
Les sombres forêts d'Hyrcanie engendrent des
fauves bien connus, tel le tigre figuré ici en compagnie
du lion (leo nobilissimis), "le plus noble des animaux", et de
l'ours à proximité de la Parthie. La panthère est
rangée aux lisières de l'Éthiopie, à côté
de la girafe (cameleopardus). Hôte traditionnel de l'Afrique,
l'éléphant, dont Isidore déplorait déjà
la disparition, est figuré à proximité du mont Atlas,
près de la montagne des sept frères.
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Éléphant
Lion
Panthère
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Une certaine tendance au naturalisme soutient que les
animaux représentés ne seraient ni fictifs ni placés
au hasard, mais correspondraient au contraire à un état
de fait à la fois zoologique et géographique. Cette théorie
ne laisse pas d'être sujette à caution. Non seulement elle
fait fi d'un certain nombre d'exceptions, mais surtout, cette volonté
d'identification à tout prix néglige autant les traits de
l'animal que la légende qui l'accompagne. Ainsi la panthère
de la mappemonde d'Ebstorf, aux formes que l'on pourrait qualifier de
"réalistes", s'intègre dans une scène qui semble
traduire visuellement un passage célèbre du Physiologus,
abondamment reproduit dans les bestiaires :
Le Physiologus dit que la panthère
ne se connaît qu'un seul ennemi : le dragon. Après s'être
bien repue, la panthère va se tapir dans sa tanière et tombe
dans un profond sommeil. Trois jours après elle s'éveille,
pousse un grand rugissement et de sa bouche s'exhale un très doux
parfum réunissant tous les parfums. Et les autres bêtes d'entendre
son cri, de suivre son doux parfum et de l'accompagner en tous lieux.
Seul le dragon se met à trembler de peur et court se terrer dans
son antre souterrain ; et incapable de supporter le parfum de la panthère,
il sombre et s'engourdit dans sa propre torpeur et reste ainsi dans son
trou, inerte, comme s'il était mort.
Plutôt que d'une fonction naturaliste, les bestiae dessinés
sur les grandes mappemondes du XIIIe siècle,
celle d'Ebstorf en l'occurrence, sont investis d'une charge signalétique.
Au même titre que les serpents, elles sont la marque du désert,
de l'absence humaine, du triomphe de la "sauvagerie", de la violence et
du chaos qui caractérisent les marges septentrionales et méridionales
du monde.
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Chien d'Albanie
Cateblopas
Mirmicaleon
Girafe
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Des bêtes monstrueuses
Dans le même temps, sur le plan graphique, ces
animaux sont investis par l'extraordinaire, l'exceptionnel, la monstruosité.
Des légendes courent sur ces mappemondes qui ne retiennent des
bestiae que l'aspect merveilleux. Comme si les marges du monde
ne devaient engendrer que des espèces hors du commun. Un extraordinaire
renforcé par l'accumulation, procédé rhétorique
autant que profusion visuelle et exagération. Les chiens d'Albanie
"sont si grands et d'une telle férocité qu'ils viennent
à bout des taureaux et des lions". La légende qui les décrit,
en mettant bout à bout deux passage d'Isidore, transforme l'animal
domestique bien connu en un être redoutable. Là où
le chien se fait tigre, la fourmi devient lion.
À l'autre bout du monde, le formicaleon ou mirmicaleon
"est ainsi appelé ou parce qu'il est le lion des fourmis ou
du moins à la fois fourmi et lion". À tel point que
les extrêmes, et ce en dépit de leur opposition climatique,
semblent parfois engendrer une bestialité quasi indifférenciée,
expliquant par là des glissements improbables d'espèces.
Ainsi sur la mappemonde d'Ebstorf, l'inquiétant cateblopas,
dont le regard tue, que Solin fait naître en Afrique est figuré
en Arménie.
Flou de l'apparence chez ces êtres hybrides dans lesquels s'accumulent
les similitudes : le cameleopardis, la girafe, est
"parsemé de taches blanches comme le pard, avec un cou de cheval
et des pattes de bœuf il a une tête de chameau. C'est un produit
de l'Éthiopie". Le parandus a "la taille d'un bœuf, l'empreinte
fourchue et les bois d'un cerf, le poil de la couleur et de l'épaisseur
de celui de l'ours". Une indétermination qui se prête à
toutes les métamorphoses, redoublée par des accouplements
inattendus. Les profondeurs sylvestres d'Hyrcanie engendrent le pardus,
pard au pelage tacheté, rapide et avide de sang, dont les bonds
redoutables sont réputés mortifères, et qui par accouplement
avec la lionne donne naissance au léopard. En marge de la mappemonde
d'Ebstorf, l'auteur reprend Isidore sur le croisement des onagres et des
ânesses : Les juifs affirment qu'Anan
arrière-petit-fils d'Esaü, le premier, fit couvrir dans le
désert des troupeaux de cavales par des ânes et créa
ces nouveaux animaux contre-nature que sont les mulets. On accoupla aussi
dans ce but des onagres avec des ânesses et cet accouplement même
fut inventé pour donner naissance à des ânes très
rapides.
Comme si soudain, là où la terre semble hésiter en
face du chaos, se défaisait l'ordre biologique du monde qui fait
se reproduire les êtres espèce par espèce.
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Centaure Chyron
Satyre
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Mi-hommes mi-bêtes
Ultime ambiguïté, la présence dans
ces confins de ces mélanges hommes-bêtes, faunes, centaures,
tel Chyron nutritor Achillis, ou minotaures. Et encore de ceux
qui peuvent paraître, de par leur ressemblance, comme la version
animale de l'homme : Selon d'autres [auteurs]
le nom de singe, simiae, est latin, car on leur trouve une grande
similitude, similitudo, avec les facultés humaines.
Même s'il ne s'agit là que d'une erreur, car ils n'ont rien
d'humain sinon la face. Sur la mappemonde d'Ebstorf, entre les branches
orientales et occidentales du Nil, dans une sorte de no man's land qui
confine aux déserts d'Égypte, commence ce qui est peut-être
une rangée de singes : un sphinge (?). Selon les Étymologies,
"les sphinges ont des poils sur la tête", sans doute les deux petites
cornes dont il se trouve affublé. Plus loin un satyre, agité
et gesticulant, est-il homme ou bête ? Le salitrix est-il
une déformation de callitriche, l'un de ces singes originaire d'Éthiopie
décrit par Pline, Solin et Isidore de Séville ? Ce
sont autant de miroirs dérisoires des hommes auxquels ils finissent
par se confondre.
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