Quelles que soient ses qualités, aucun fleuve, aussi prestigieux
soit-il, ne dépasse le Nil. Le Moyen Âge hérite de
la fascination que le dieu-fleuve aux sources mystérieuses, aux
crues dévastatrices autant que fécondantes, a exercée
dans l'Antiquité.
Il est le violent, le gouffre qui engloutit la terre, la recouvre et
absorbe ses immondices. Il est celui qui se précipite du haut de
rochers escarpés et tombe en un tel fracas qu'il condamne à
la surdité les habitants d'alentour. Mais le Nil est aussi le cœur,
la grâce, la fertilité, "celui qui apporte aux hommes le
bonheur". Il est enfin le Géon, de Ge qui signifie la terre :
cette terre irriguée du gonflement de ses eaux, à laquelle
il donne la boue, le limon, qui la fertilise, d'où le nom de "terreux",
le "trouble", "fleuve aux eaux troubles", de Nil, que lui donnent
les Égyptiens, de "fleuve de miel" que lui attribuent les Latins.
Des origines mystérieuses
Le Nil est d'autant plus fascinant qu'il demeure mystérieux. Mystère
d'un cours insaisissable, en partie souterrain, mystère de ses crues,
de cette eau déversée à profusion sur une terre brûlante,
qui atteint son amplitude maximale au moment de la canicule.
Sur l'origine du Nil et les incertitudes de son cours, les auteurs médiévaux
se font l'écho des théories forgées par leurs prédécesseurs
de l'Antiquité.
Les uns faisaient naître le fleuve à l'est, tantôt
dans les hauts massifs de l'Afrique orientale, comme Ptolémée,
tantôt près du littoral de la mer Érythrée,
au lieu dit "comptoir de Mossylon", comme Orose. D'autres n'hésitaient
pas à le faire jaillir du continent austral, franchissant l'Océan
qui nous en sépare par des eaux souterraines, avant de resurgir
en Éthiopie. Aux tenants d'une origine orientale ou méridionale,
s'opposaient enfin les tenants d'une source occidentale "dans la région
du soir ou du couchant" déjà avancée par Hérodote,
à proximité du grand Océan qui entoure la terre.
Confrontés à ces hypothèses, les auteurs médiévaux,
dans le doute, ont souvent préféré s'abstenir de
choisir, reproduisant fidèlement les théories en présence,
toutes issues d'autorités respectées.
L'auteur a choisi ici de représenter deux bras. L'un prend sa source
à l'est, l'autre à l'ouest, traduisant ainsi visuellement
des hésitations qu'il rappelle dans la légende :
Selon certains auteurs, [le Nil] aurait sa source
au loin [du côté de l'occident] dans des montagnes et s'enfoncerait
immédiatement dans les sables aurifères et, après
un bref espace intermédiaire, il s'épancherait dans un très
grand lac.
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