Rousseau à 50 ans : « Je pris l'habit arménien »
Les Confessions
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), auteur ; Paul Baudier (1881-1962) et Émilien Dufour (1894-1975), illustrateurs, Paris, Ed. du Trianon, 1926.
3 vol. in-4°
BnF, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LN27-17967 (AAI, 1)
© Bibliothèque nationale de France
À 50 ans, Rousseau vit en Suisse, à Môtiers, où il a dû fuir suite à la condamnation de l’Émile par le parlement de Paris. C’est pour se justifier qu’il commence alors à rédiger son autobiographie. Dans sa retraite, Rousseau portait au quotidien ce long manteau arménien afin que, de son propre aveu, il puisse, malade, se sonder plus facilement : « Peu de temps après mon établissement à Motiers-Travers, ayant toutes les assurances possibles qu’on m’y laisserait tranquille, je pris l’habit arménien. Ce n’était pas une idée nouvelle ; elle m’était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me revint souvent à Montmorency, où le fréquent usage des sondes, me condamnant à rester souvent dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les avantages de l’habit long. La commodité d’un tailleur arménien, qui venait souvent voir un parent qu’il avait à Montmorency, me tenta d’en profiter pour prendre ce nouvel équipage, au risque du qu’en dira-t-on, dont je me souciais très peu. Cependant, avant d’adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l’avis de madame de Luxembourg, qui me conseilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garde-robe arménienne ; mais l’orage excité contre moi m’en fit remettre l’usage à des temps plus tranquilles, et ce ne fut que quelques mois après que, forcé par de nouvelles attaques de recourir aux sondes, je crus pouvoir, sans aucun risque, prendre ce nouvel habillement à Motiers, surtout après avoir consulté le pasteur du lieu, qui me dit que je pouvais le porter au temple même sans scandale. Je pris donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la ceinture ; et, après avoir assisté dans cet équipage au service divin, je ne vis point d’inconvénient à le porter chez milord maréchal. Son Excellence, me voyant ainsi vêtu, me dit, pour tout compliment, Salamaleki : après quoi tout fut fini, et je ne portai plus d’autre habit. »
Les Confessions, Livre XII