Le préambule de l’édition de Paul et Virginie de 1806 est une mine d’informations quant à l’histoire matérielle du livre au début du XIX^e siècle. Bernardin de Saint-Pierre décrit la fragilité du droit d’auteur face aux contrefaçons, le rôle des journalistes et le recours aux souscriptions pour financer l’édition d’un livre afin d’avoir de la trésorerie en avance. Il ne faut pas oublier que l’éditeur moderne, qui prend en charge le risque financier et le travail d’édition (relecture, choix d’un illustrateur, etc.), n’apparaît qu’aux alentours des années 1830-1840. Auparavant, la chaîne du livre s’organise autour de mécènes, ou de souscripteurs, d’auteurs et d’imprimeurs, qui sont parfois aussi libraires.
Bernardin de Saint-Pierre raconte en détail ses difficultés à recouvrir l’argent des souscriptions, explique le procédé de gravure qui requiert trois artistes, « l’entrepreneur en donne d’abord le sujet, et en fait faire le dessin ; il le livre ensuite à un graveur, qui en fait exécuter tour à tour l’eau-forte, le paysage, les figures, et met le tout en harmonie. Après quoi un graveur en lettres y met l’inscription. » Il cite pour chaque gravure les trois artistes retenus et justifie son choix. Il en profite pour critiquer l’usage de la coepia, « une encre naturelle qui sert au poisson qui en porte le nom, à échapper à ses ennemis » mais qui s’efface avec le temps. Il détaille ses factures, « chaque dessin m’en coûte 300 ; chaque planche gravée de Paul et Virginie 1000 ; celle du portrait 2400, sans les exemplaires à fournir. » Surtout, il se perd dans maintes digressions, comme la biographie de M. de la Bourdonnais, « fondateur de la colonie française de l’île de France », la formation du globe terrestre et un éloge des femmes.
Les six dessinateurs retenus pour cette édition sont : Gérard, Girodet, Isabey, Laffitte, Moreau le Jeune et Prudhon.