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Stendhal,
Le Rouge et le noir![]() Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. Cétait un petit homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de lexpression de la haine la plus féroce. Des cheveux châtain foncé, plantés fort bas, lui donnaient un petit front, et, dans les moments de colère, un air méchant. Parmi les innombrables variétés de la physionomie humaine, il nen est peut-être point qui se soit distinguée par une spécialité plus saisissante. Une taille svelte et bien prise annonçait plus de légèreté que de vigueur. Dès sa première jeunesse, son air extrêmement pensif et sa grande pâleur avaient donné lidée à son père quil ne vivrait pas, ou quil vivrait pour être une charge à sa famille. Objet des mépris de tous à la maison, il haïssait ses frères et son père ; dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu. Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, Mme de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut, près de la porte dentrée la figure dun jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette. Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que lesprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut dabord lidée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte dentrée, et qui évidemment nosait pas lever la main jusquà la sonnette. Mme de Rênal sapprocha, distraite un instant de lamer chagrin que lui donnait larrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas savancer. Il tressaillit quand une voix douce dit tout près de son oreille : - Que voulez-vous ici, mon enfant ? Julien se tourna vivement, et, frappé du regard si rempli de grâce de Mme de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce quil venait faire. Mme de Rênal avait répété sa question. - Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes quil essuyait de son mieux. Mme de Rênal resta interdite, ils étaient
fort près lun de lautre à se regarder. Julien navait jamais vu un
être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler
dun air si doux. Mme de Rênal regardait les grosses larmes qui sétaient
arrêtées sur les joues si pâles dabord et maintenant si roses de ce jeune paysan.
Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle dune jeune fille, elle se
moquait delle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, cétait
là ce précepteur quelle sétait figuré comme un prêtre sale et mal vêtu,
qui viendrait gronder et fouetter ses enfants. |
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Le Rouge et
le noir,1830. |
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|Le jeune homme| |