anthologie
ecrire la ville

« À partir de la gare de l’Est »

Claude Simon
Pour insister sur l'idée de captation pure du réel, et sur la complexité de ces processus d’acquisition et lecture du visible, impliquant à chaque pas un saut qualitatif de ces largeurs de focale dans l’écriture, voici ce texte de Claude Simon, non pas comme inventaire, mais comme suite impossible à rattraper de tout ce qui fuit, non pas ce qui advient à la vision, mais comme l’image qu’on vient juste d’en détacher alors qu’en surgit une nouvelle. En ransférant au temps de l’écriture comme l’équivalent de cette fuite, c’est l’accumulation, la linéarité du dire qui devient poème.
 
Claude Simon est un écrivain français né le 10 octobre 1913 à Tananarive (Madagascar) et décédé le 6 juillet 2005 à Paris. Le prix Nobel de littérature en 1985 est venu récompenser celui "qui, dans ses romans, combine la créativité du poète et du peintre avec une conscience profonde du temps dans la représentation de la condition humaine".

Par exemple ? à partir de la gare de l'Est, noté successivement:
Hangars - Gare de marchandises - Multitudes de voies
Entrepôts - HLM
Poste d'aiguillage
Terrains vagues - Usines
Pavillons - Jardinets
Gazomètres - Lignes à haute tension Pylônes
Usines - Clôtures en plaques de ciment
Pavillons pierre meulière marron ou crépis gris noir
Cimenterie - Linge rose qui sèche (gardien ?)
Garage en briques : cour pleine d'autos à la casse
Fleuve vert – Péniches
De nouveau pavillons, jardinets, vergers
Voies qui s’entrecroisent (pont)
                    se dédoublent
                    se rejoignent
Plan incliné, remblai s’élevant, masquant
Machines (bulldozers) peintes en jaune
Wagons de marchandise roses
De nouveaux vastes entrepôts – choses rouillées, carcasses métalliques, caissons
Terrain de sports
Poteaux à croisillons couchés en désordre le long de la voie
Premier morceau de campagne – Bois mauve (de rares sapins vert noir)
Parc – Perspective – Château en briques
Sablières – Chantiers
Décharge publique
Cimetière de voitures entassées – Montagne de carcasses moteurs enlevés
Entrepôts de ferrailles (poutrelles)
Sous-bois (taillis, hallier, tapis rose de feuilles mortes)
Montagnes de bidons cylindriques annelés multicolores bleus jaunes verts rouille
Petit bois de nouveau
Terre labourée (sous la pluie les versants des sillons lissés par le soc luisants bleus (marne ?)
Puis plus rien que la campagne : champs, haies, boqueteaux, etc.)


Extrait de : Claude Simon, Le Jardin des Plantes
Éditions de Minuit, 1998.