Alfred de Musset (1810-1857), auteur ; Eugène Lami (1800-1890), peintre ; Adolphe Lalauze (1838-1906), graveur.
Rueil-Malmaison, châteaux de Malmaison et Bois-Préau, INV. MDO95
© RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Daniel Arnaudet
LA MUSE.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser ;
La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore.
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s'embraser ;
Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.
LE POÈTE.
Comme il fait noir dans la vallée !
J'ai cru qu'une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie ;
Son pied rasait l'herbe fleurie ;
C'est une étrange rêverie ;
Elle s'efface et disparaît.
LA MUSE
Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,
Balance le zéphyr dans son voile odorant.
La rose, vierge encor, se referme jalouse
Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.
Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée.
Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée
Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.
Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature
Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,
Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.
LE POÈTE.
Pourquoi mon coeur bat-il si vite ?
Qu'ai-je donc en moi qui s'agite,
Dont je me sens épouvanté ?
Ne frappe-t-on pas à ma porte ?
Pourquoi ma lampe à demi morte
M'éblouit-elle de clarté ?
Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.
Qui vient ? qui m'appelle ? – Personne.
Je suis seul ; c'est l'heure qui sonne ;
O solitude ! ô pauvreté !
[...]
Alfred de Musset,
La nuit de Mai, dans
Oeuvres complètes illustrées, 1927-1929
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