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Une
autre façon d'aborder la connaissance
L’Encyclopédie se démarque
de ces prédécesseurs dans la façon d’aborder la
connaissance. Dès la rédaction du Prospectus
(1750), en choisissant de présenter la division des sciences
suivant l’arbre, ou « système
figuré des connaissances humaines » inspiré
de Bacon,
Diderot se place hors du projet initial
de traduction de Chambers.
Ce système dessine les relations de
dépendance et de voisinage entre les savoirs, qui, selon
d’Alembert,« peuvent se
réduire à trois espèces :
-
l’histoire,
-
les arts tant libéraux que mécaniques
-
et les sciences proprement dites, qui ont pour objet les matières
de pur raisonnement ».
La philosophie constitue le tronc de l’arbre et la théologie
n’en est plus qu’une branche éloignée. |
Dans son Discours
préliminaire, d’Alembert, énonçant
les principes de l’entreprise, spécifie que la connaissance
vient des sens et non de Rome ou de la Bible.
L’Encyclopédie place l’homme au centre
de l’univers. Présentée comme une oeuvre de compilation,
elle n’en est pas moins un manifeste philosophique.
Le tableau des connaissances laisse entrevoir au lecteur
les différentes opérations de jonction, de déplacement,
de hiérarchisation, qui constituent, d’après
d’Alembert, la supériorité du dictionnaire
encyclopédique :
« Montrer la liaison scientifique de l’article qu’on lit
avec d’autres articles
qu’on est le maître, si l’on veut, d’aller chercher
».
Un
système de renvois très élaboré
Cette liberté offerte au lecteur est toutefois
éclairée par un système de renvois très
élaboré, qui permet de créer des connexions entre
les sciences, de compléter, de reconstituer l’enchaînement
des causes, et qui fait de l’Encyclopédie le
Dictionnaire raisonné qu’elle prétend
être. L’objectif de ces renvois est double :
-
remédier, certes, à l’ordre alphabétique qui
empêche de traiter d’une science dans son intégralité,
-
mais aussi, plus sournoisement, déjouer la censure pour exprimer des
idées non conformes à celles reconnues par l’Église
et l’État.
Ainsi :
-
l’article « Cordeliers », plutôt élogieux
vis-à-vis de cet ordre, renvoie à « Capuchon »
où les religieux sont ridiculisés,
-
la « Constitution Unigenitus » est critiquée à
l’article « Controverse » et « Convulsionnaire
»,
-
les attaques les plus virulentes contre l’absolutisme politique ou religieux
sont contenues dans des textes aux titres les plus anodins (l’article
« Genève », rédigé par
d’Alembert, renferme une violente critique du parti dévôt
français et des prêtres genevois) ou les plus saugrenus (dans
« Aschariouns » et « Épidélius » on trouve une dénonciation des absurdités du christanisme).
Le
savoir à portée de tous
Une autre préoccupation des encyclopédistes
apparaît constamment dans leur ouvrage : mettre le savoir à
la portée de tous. La multiplication des illustrations participe
de cette volonté.
Diderot l’annonçait dans le
Prospectus :
« Un coup d’oeil sur l’objet ou sur sa représentation
en dit plus long qu’une page de discours. »
L’iconographie se développe d’autant
plus qu’après l’interdiction de
l’Encyclopédie autorisation est donnée de
publier un recueil de planches. L’image devient alors prioritaire, elle
n’est plus illustration au service d’un texte, c’est au contraire
le texte qui explique l’image.
Encyclopédie de Diderot, Typographe devant une
casse
Paris, BnF. |
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À travers leur oeuvre, les encyclopédistes
ont fait passer leur idéal philosophique :
-
diffuser auprès du plus grand nombre un savoir libre de tout
préjugé, de toute superstition,
-
mesurer les connaissances à l’aune de la raison,
-
enfin, fournir un matériel pour, comme Diderot le proclame dans
l’article « Encyclopédie », « changer
la façon commune de penser ».
Ce qui caractérise le philosophe et le distingue du vulgaire,
c’est qu’il n’admet rien sans preuve,
qu’il n’acquiesce point à des notions trompeuses
et qu’il pose exatement les limites du certain, du probable et du douteux.
Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans
les esprits,
et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et
les intolérants
n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité.
Lettre de Diderot à Sophie Volland (26 septembre
1762). |
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