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La tradition encyclopédique
chinoise est une tradition ancienne qui remonte au début
du Ier millénaire avant notre ère. Elle y
apparaît dotée d'une vigueur particulière, alimentée
par une série de facteurs convergents : goût pour la
citation, pensée par catégorie, mode de recrutement
de l'intelligentsia impliquant la composition littéraire
académique.
Léguer à son fils une corbeille remplie d'or
est moins précieux que lui léguer un Classique.
(dicton chinois) |
Le premier répertoire de mots classés,
IVe-IIe siècle avant notre ère
Paris, Bnf |
Son histoire peut se raconter en plusieurs
épisodes.
En
239 av. J.-C., Lü Buwei, un riche marchand devenu premier
ministre de l'État de Qin, invita trois mille lettrés
à la Cour et les pria d'écrire ce qu'ils avaient entendu.
Il rassembla leurs propos en huit chapitres d'observations, six chapitres
d'entretiens et douze chapitres de recueils de notes, soit au total deux
cent mille mots. Les chroniques ainsi recueillies furent exposées
à la porte du marché de la capitale et mille pièces
d'or suspendues au-dessus. Et il fut proclamé que toute personne
lettrée capable d'y ajouter ou d'en retrancher le moindre mot recevrait
les mille pièces d'or.
En
220 après J.-C., apparut la première encyclopédie
véritable, née de la volonté de l'empereur Cao
Pi. Il ordonna aux lettrés de compiler les classiques et leurs
commentaires en les classant par catégories.
À
partir du VIe siècle, jusqu'au VIIIe siècle,
chaque empereur aura à coeur de commanditer une ou plusieurs
encyclopédies. La dynastie des Song (960-1279) puis
la dynastie des Ming (1368-1644) continueront cette tradition.
Toutes les encyclopédies n'émanèrent pas de
l'autorité de l'Etat. Très tôt, des lettrés
fonctionnaires éprouvèrent le besoin d'en composer
eux-mêmes. Citons, parmi bien d'autres, l'encyclopédie
du célèbre poète Bai
Juyi (772-846), Li
Shizhen (1518-1593) avec son encyclopédie spécialisée
sur les Catégories de la pharmacopée
en 1596 ou le Traité complet
d'administration agricole de Xu Guangqi.
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L'encyclopédie du célèbre poète Bai
Juyi
Paris, BnF. |
Mais
c'est à deux empereurs, non-chinois mais mandchous, du XVIIe
siècle, que l'on doit les plus ambitieuses réalisations
éditoriales de tous les temps, dédiées à la
gloire de la littérature chinoise. Les lettrés furent mobilisés
pour l'édification de corpus monumentaux. Une maison
d'édition fut implantée dans la Cité interdite
en 1680 et dotée de moyens financiers quasi illimités.
Les Presses impériales produisirent les plus volumineux
ouvrages jamais publiés. Les empereurs assuraient ainsi la promotion
des lettres, mais aussi la censure.
Le
XVIIIe siècle constitue véritablement l'âge
d'or des entreprises encyclopédiques. Elles atteignent alors un
luxe et une ampleur d'érudition indépassables. Ainsi, en
1728 les presses impériales impriment en soixante-cinq exemplaires
la Grande encyclopédie impériale des temps passés
et présents de Chen Menglei,
qui ne comporte pas moins de cent millions de caractères.
Dans
les décennies qui suivent, l'empereur Qianlong (1736-1795)
immortalise son règne par le gigantisme de la production
intellectuelle qu'il commandite. L'« examen complet de l'agriculture » marque le sommet de l'encyclopédisme agronomique.
En 1745, il ordonne la réalisation d'une série d'illustrations
sur les peuples étrangers faisant allégeance à
l'empire : six cents représentants de toutes les ethnies
entretenant des relations avec l'état mandchou sont ainsi
croqués, dans une double démarche artistique et ethnographique.
En 1772, il décrète une recherche systématique
de tous les textes existant dans l'Empire.
Illustrations des peuples tributaires,
Paris BnF. |
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Une large palette
Les encyclopédies en Chine relèvent
d'un genre appelé leishu, « oeuvre
classifiée ». Plusieurs types d'ouvrages y sont rassemblés
:
-
des anthologies ou des compilations reprenant le corpus des textes canoniques
de la tradition confucéenne (classiques, livres d'histoire, philosophes,
oeuvres littéraires),
-
des répertoires des connaissances,
-
des encyclopédies administratives retraçant l'histoire des
dynasties et des institutions,
-
des encyclopédies taoïques ou bouddhiques,
-
des recueils présentés sous la forme de dictionnaire de rimes,
destinés à l'apprentissage de l'art poétique.
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Par couleurs
Au Moyen Âge les Chinois imaginèrent
de classer les livres conservés dans les bibliothèques, par
les couleurs de leur couverture, on affectait ainsi :
-
une couverture verte aux classiques,
-
rouge aux livres d'Histoire,
-
bleue aux ouvrages philosophiques,
-
grise pour les divers ouvrages restants.
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Prestige du texte
Wen désigne en Chine à
la fois le caractère écrit, la culture et la civilisation.
Le souverain digne de régner est celui qui préserve
l'héritage et accomplit des actions civilisatrices en sauvegardant
la mémoire des textes. |
Bibliothèque lapidaire
En 175 ap. J.-C., l'empereur de Chine ordonna
de collationner une version des classiques et la fit graver sur quarante-six
stèles de pierre érigées au centre de la capitale.On
raconte qu'il y eut à cet endroit des embouteillages de chars ! |
CHEN Menglei, La Grande Encyclopédie
impériale illustrée des temps passé et présent),
Paris, BnF. |
Record absolu
Au XVe siècle,
l'empereur Chengzu mobilisa plus de deux mille lettrés
chargés de réaliser le plus vaste rassemblement de
textes littéraires jamais effectué au monde. Entre
1562 et 1567, il fallut, pour en copier deux exemplaires, faire
travailler quelque cent calligraphes, car l'ouvrage ne comportait
pas moins de 22 877 chapitres au total !
Au XVIIIe siècle, la Grande
Encyclopédie impériale illustrée
des temps passé et présent comptait quelque 800
000 pages ... |
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