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Marcel
Proust, Le Temps retrouvé![]() Le vieux Duc de Guermantes ne sortait plus [...].
Je ne lavais pas aperçu et je ne leusse sans doute pas reconnu, si on ne me
lavait clairement désigné. Il nétait plus quune ruine mais superbe,
et moins encore quune ruine, cette belle chose romantique que peut être un rocher
dans la tempête. Fouettée de toutes parts par les vagues de souffrance, de colère de
souffrir, davancée montante de la mort qui la circonvenaient, sa figure, effritée
comme un bloc gardait le style, la cambrure que javais toujours admirés ; elle
était rongée comme une de ces belles têtes antiques trop abîmées mais dont nous
sommes trop heureux dorner un cabinet de travail. Elle paraissait seulement
appartenir à une époque plus ancienne quautrefois, non seulement à cause de ce
quelle avait pris de rude et de rompu dans sa manière jadis plus brillante, mais
parce quà lexpression de finesse et denjouement avait succédé une
involontaire, une inconsciente expression, bâtie par la maladie, de lutte contre la mort,
de résistance, de difficulté à vivre. Les artères ayant perdu toute souplesse avaient
donné au visage jadis épanoui une dureté sculpturale. Et sans que le Duc sen
doutât, il découvrait des aspect de nuque, de joue, de front, où lêtre comme
obligé de se raccrocher avec acharnement à chaque minute semblait bousculé dans une
tragique rafale, pendant que les mèches blanches de sa magnifique chevelure moins
épaisse venaient souffleter de leur écume le promontoire envahi du visage. Comme ces
reflets étranges, uniques, que seule lapproche de la tempête où tout va sombrer
donne aux roches qui avaient été jusque-là dune autre couleur, je compris que le
gris plombé des joues raides et usées, le gris presque blanc et moutonnant des mèches
soulevées, la faible lumière encore départie aux yeux qui voyaient à peine, étaient
des teintes non pas irréelles, trop réelles au contraire, mais fantastiques, et
empruntées à la palette, à léclairage inimitable dans ses noirceurs effrayantes
et prophétiques, de la vieillesse, de la proximité de la mort. |
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Le Temps
retrouvé,1929. |
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|La vieillesse| |