![]() |
![]() |
![]() |
||
![]() |
|
![]() |
Paul
Scarron, Le Roman comique![]() Pour parler plus humainement et plus intelligiblement, il était
entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans. Cette charrette
était attelée de quatre bufs fort maigres, conduits par une jument poulinière,
dont le poulain allait et venait à lentour de la charrette comme un petit fou
quil était. La charrette était pleine de coffres, de malles et de gros paquets de
toiles peintes, qui faisaient comme une pyramide, au haut de laquelle paraissait une
demoiselle habillée moitié ville, moitié campagne. Un jeune homme, aussi pauvre
dhabits que riche de mine, marchait à côté de la charrette. Il avait un grand
emplâtre sur le visage, qui lui couvrait un il et la moitié de la joue, et portait
un grand fusil sur son épaule, dont il avait assassiné plusieurs pies, geais et
corneilles, qui lui faisaient comme une bandoulière, au bas de laquelle pendaient par les
pieds une poule et un oison qui avaient bien la mine davoir été pris à la petite
guerre. Au lieu de chapeau, il navait quun bonnet de nuit, entortillé de
jarretières de différentes couleurs, et cet habillement de tête était une manière de
turban qui nétait encore québauché et auquel on navait pas encore
donné la dernière main. Son pourpoint était une casaque de grisette, ceinte avec une
courroie, laquelle lui servait aussi à soutenir une épée qui était si longue
quon ne sen pouvait aider adroitement sans fourchette. Il portait des chausses
troussées à bas dattaches, comme celles des comédiens quand ils représentent un
héros de lantiquité, et il avait, au lieu de souliers, des brodequins à
lantique que les boues avaient gâtés jusquà la cheville du pied. Un
vieillard vêtu plus régulièrement, quoique très mal, marchait à côté de lui. Il
portait sur ses épaules une basse de viole, et, parce quil se courbait un peu en
marchant, on leût pris de loin pour une grosse tortue qui marchait sur ses jambes
de derrière. Quelque critique murmurera de la comparaison, à cause du peu de proportion
quil y a dune tortue à un homme ; mais jentends parler des grandes
tortues qui se trouvent dans les Indes, et de plus, je men sers de ma seule
autorité. |
|
Le Roman
comique,1651-1657. |
||||
|
||||
|La vieillesse| |