regards sur la villealbumsEugène Atgetpistes pédagogiques

Analyse d’une photographie : cadre, cadrage et composition


Cadrage, le champ et le hors champ

La prise de vue frontale, cadrée sur le double resserrement décalé de la rue entre le deuxième et le troisième plan ne permettent pas d’imaginer concrètement le lieu où est posé l’appareil : dans l’évasement de la rue ? Dans une rue perpendiculaire ou sur une place, ce que semble contredire le pavage ? À cet endroit, juste en avant de l’ouverture perpendiculaire à gauche derrière le photographe, la rue Saint-Bon forme une petite place. Derrière la rue qui ferme l’horizon, l’église Saint-Merri est encastrée dans les bâtiments.
L’image fonctionne entièrement dans son propre champ. Alors que presque toutes les percées haussmanniennes sont achevées, la mise en scène est celle d’un Paris d’avant la transformation, une ville fermée, à la circulation difficile dans ses petites rues artisanales et commerçantes menacées de disparition.
 

Composition

Réalisant ses positifs par contact, Eugène Atget ne recadrait pas ses photographies. C’est donc à une attention à la composition lors de la prise de vue que convie l’image. Un cadre 18 x 24 cm, quelques traits tracés au crayon sur une reproduction de la même taille ou avec un logiciel de traitement de l’image conduisent à distinguer des plans successifs qui se renvoient les uns aux autres :
Au premier plan, en écho avec l’arrière plan qui ferme l’horizon (l’immeuble le long de la rue de la Verrerie n’a pas de porte visible), domine l’horizontalité soulignée par le pavage et tempérée par les décrochements à droite et au fond, ouverture vers le spectateur et fermeture.
Une zone de transition où se mêlent horizontales, obliques et verticales en des lignes plus courtes, organise les décrochements verticaux et horizontaux. Le point de fuite des obliques est la tourelle de l’église Saint-Merri.
Cinq masses étirées en hauteur, les façades, supportent l’objet de l’image, les enseignes, la lampe et les affiches publicitaires. Ces masses sont striées alternativement horizontalement selon une perspective fuyante dont les points de fuite sont constitués par les fenêtres de l’immeuble de la rue de la Verrerie.
La composition n’est pas centrée, les points de fuite décalés renforcent l’impression de décrochement. La double focalisation sur la rue et sur les publicités ne laisse à aucun moment le regard sortir de l’image.

Images à consulter
 
À ce stade de l’analyse de l’image, il devient intéressant d’observer les autres vues réalisées par Atget dans le quartier Saint-Merri. La collection de la Bibliothèque nationale en offre quarante huit dont près d’une dizaine, si on excepte les cours, – rue Aubriot, Impasse de la Baudroirie, rue de Venise, (plusieurs clichés de ces deux rues), cul de sac du Bœuf, rue Brisemiche, cul de sac Fiacre… – présentent une composition semblable, la perspective fuyante d’un étroit couloir barré à son extrémité, une image de cul de sac.
Ces différentes prises de vues du quartier saint-Merri sont-elles toutes réalisées à la même date ? Appartiennent-elles toutes à la même série ? Au même album ?
 
 

Lumière

Bien que composant une image de cul de sac, ce qu’elle n’est pas, la rue Saint-Bon n’apparaît pas comme un boyau sombre. Repérer les zones qui apparaissent en pleine lumière : la façade de l’immeuble qui ferme la perspective, les pignons sur lesquels se trouvent l’enseigne de serrurerie et les affiches. Essayer d’imaginer à quel moment de la journée a été prise la photographie, notamment en observant les ombres.

Le vide de la rue

Il n'est pas évident de déterminer l'heure de la prise de vue. Nombre de photographies d'Atget semblent prises le matin à l'heure où les rues sont désertes, mais l'album consacré aux voitures suggère qu'Atget devait demander aux personnes de sortir du champ le temps de la prise de vue. Les ombres des immeubles dans la rue ne sont pas convaincantes et évoqueraient plutôt une lumière d'après-midi, une heure où les rues ne sont pas habituellement vides. Le vide peut apparaître un choix, comparable toutes proportions gardées à la série Vider Paris de Nicolas Moulin. Il peut être rapproché de certains tableaux de Giorgio de Chirico et opposé à la plupart des textes sur le flâneur où la foule joue un certain rôle (Baudelaire, Poe…). Il peut aussi être associé aux textes qui disent le désenchantement de la ville et le blasement de l'habitant de la grande ville moderne (Georg Simmel…).

Les objets, la publicité, l’écriture

Relever tous les objets, les enseignes, le mobilier urbain, les affiches. Que peut-on en déduire sur l’activité du quartier, sur l’économie des années 1900 ? Est-ce que le lieu, vide de toute présence humaine, donne pour autant l’impression d’être abandonné ? La présence des affiches n’est-elle pas un moyen, dans une sorte d’oxymore visuel, de mettre en doute la notion de vide ?
En quoi la présence de publicités et d’affiches dans le champ modifie-t-elle la perception qu’on peut avoir de l’image de la rue Saint-Bon ? La démarche d’Eugène Atget est-elle isolée ? La comparaison avec des tableaux de la même époque, par exemple Utrillo, ou des textes, par exemple "l’album Zutique" d’Arthur Rimbaud, permet de faire ressortir l’importance de la publicité et les rapports ambigus qu’elle entretient avec l’art, mais aussi la façon dont les artistes se l’approprient dans leurs œuvres.
haut de page