Sabine Delcour, Bassin d'Arcachon (Gironde), 2006-2007

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Description

Un chemin herbeux nous conduit dans une zone humide au fond de laquelle la distinction entre le ciel, la terre et l'eau s'efface dans un flou remarquable. La précision d'un encadrement noir très visible contraste avec le paysage représenté, aqueux et instable. La légende de la photographie localise le paysage dans le Bassin d'Arcachon où un petit fleuve côtier, la Leyre où l'Eyre se jette sous la forme d'un delta dans le domaine de Certes, géré par le Conservatoire du littoral.
 

Le protocole photographique

Le protocole photographique est ici caractérisé par des contraintes techniques : l'usage de la chambre photographique, un appareil peu maniable, lourd, lent à installer dans un espace marécageux mais qui autorise une très grande liberté dans la création de l'image. Les contraintes institutionnelles sont aussi présentes puisque Sabine Delcour répond à une commande publique du Conservatoire du littoral, organisme créé en 1975 qui a pour mission de préserver des milieux naturels et des paysages remarquables et menacés. Les artistes sont invités à « faire ressentir plus fortement (qu'une approche purement documentaire et scientifique) ce qui est en jeu dans la vie du paysage littoral » (Cdl, collection photographique). Pourquoi Sabine Delcour choisit-elle ce dispositif photographique qui joue sur le paradoxe d'un cadre net et d'une image imprécise très éloignée des représentations documentaires classiques ?
 

Intention et dispositif

Dans cette image, la photographe a volontairement laissé visible un cadre noir qui correspond au contour du plan film grand format de la chambre (le bord du film). Ce cadre nous indique l'intervention assumée de la photographe. Il s'agit de « lever toute ambiguïté sur le rapport que les images entretiennent avec la réalité : elles sont le résultat d'une construction technique, d'un angle de vue déterminé, d'un regard singulier posé sur un territoire à un moment donné » (André Rouillé, "Delta de la Leyre", dans Littoral / Delta de la Leyre - Bassin d'Arcachon, éditions Filigranes, juin 2007). Le choix de la chambre photographique permet grâce au système de bascule de maîtriser parfaitement la profondeur de champ, de déplacer le plan de netteté de l'image et aussi de redresser les perspectives. Le cheminement entre le flou et le net traduit au plus près l'expérience du corps qui progresse difficilement entre le solide (le sentier), le mouvant (la vase), le liquide (l'eau douce ou salée). Les contrastes chromatiques faibles, la vision très basse du paysage rendent l'échelle incertaine tout en ménageant une grande place au ciel et à l'eau et donc à une forme d'abstraction qui laisse libre cours à l'imaginaire du spectateur.

Analyse / interprétation

Cette instabilité des vasières, des bancs sableux du delta, nous l'éprouvons plus que nous l'analysons intellectuellement. Sabine Delcour inscrit son travail dans une histoire de la photographie de paysage qui remonte au XIXe siècle. Elle refuse ainsi l'uniformité esthétique qu'impose la netteté. Comme le rappelle André Rouillé, « ce procédé lui permet une fois de plus de signifier comment le photographe peut perturber à loisir l'illusion de réalité. L'instabilité et la fragilité qui en découlent rappellent les "ratés", les "faillites" des photographies du XIXe siècle ». La lenteur retrouvée de la photographie grâce au dispositif de la chambre argentique grand format épouse le rythme de cet espace soumis au balancement des marées, à la lente sédimentation et l'envasement progressif. L'œil parcourt les lignes de fuite sinueuses des chenaux ramifiés de la Leyre au rythme des dynamiques deltaïques. L'image refuse l'analogie au réel de la photographie documentaire mais elle nous plonge dans la découverte aventureuse d'un territoire troublant.
 
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