Jeux de miroirs et autres réflexions L’observation directe (quand je regarde ce qui devient un modèle afin de réaliser une production plastique), l’observation indirecte (par exemple un jeu de réflexion d’images à l’aide de miroirs) et la mémoire peuvent être combinées afin de réaliser un ou plusieurs portraits.
  
   
L’observation directe
Elle sollicite l’établissement d’un protocole convenu entre objet faisant office de modèle et sujet agissant sur celui-ci afin de s’en emparer. L’observation fait également référence à des œuvres obtenues selon les modalités de la pose face à l’artiste.
Il est possible de créer des situations mettant en jeu ces relations afin d'en étudier les effets et d'éventuellement les critiquer.
   
L’exploration de l’iconographie illustrant les manuels scolaires trouve un relais documentaire important dans le fonds de documents mis à votre disposition dans ce dossier afin d’aborder le portrait de manière critique. Portraits de rois, d’hommes d’église, de nobles et de bourgeois, portraits de personnages illustres ou d’hommes du "peuple" anonymes retracent rapidement le parcours de l’évolution des rapports au portrait. À quoi servait-il ? Qui était représenté ? Comment ? Qu’était-ce que réaliser un portrait "fidèle " et comment la conformité à un modèle disparu peut-elle être reconnue ?
  
Consultez également: De quand date l’art du portrait ?.
  


Julia, Xavier Lucchesi
Toujours en utilisant les fonds de la Bibliothèque nationale de France, mais également en se référant à l'iconographie scientifique des manuels scolaires, ainsi qu'à certaines démarches artistiques contemporaines, tenter de réaliser un portrait en le traitant comme un " objet " ou selon les modalités du constat scientifique et du relevé.

Prendre par exemple plusieurs photocopies d’un même portrait et chercher à le traiter à la manière d’un végétal ou d’un animal étudié en sciences et vie de la terre. Le même portrait travaillé sous forme de schéma de montage destiné à un cours de technologie produirait-il un effet équivalent ? Serait-il possible de produire un modèle-réduit (un peu à la manière des cires anatomiques), de réaliser une série de transparents afin de modifier des expressions ou de faire évoluer des éléments du visage ?
  
Réaliser des versions différentes d’un portrait, en empruntant son esthétique et ses dispositifs au domaine scientifique ou technologique, offre l’opportunité d’analyser les documents vus en classe, en cherchant à définir les règles qui les régissent et les fonctions qu’ils occupent. Dans un même temps, cette approche permet de définir " en creux " la spécificité de la démarche artistique.
En ce sens, les dessins anatomiques du Docteur Paul Richer, membre de l’Académie de médecine et, en même de temps, de l’Académie des Beaux-Arts, ouvrent une nouvelle voie à l’exploration de liens, comme à celle de différences à revendiquer.
  


Jean-Baptiste Colbert, Robert de Nanteuil

L’un des prolongements éventuels de semblables interrogations peut être également de choisir, par exemple, le portrait de Colbert en le situant dans des contextes différents. Si ce portrait se détache sur un paysage comme celui visible derrière Mona Lisa, se trouve inclus dans un environnement contemporain, dans une foule ou intégré à un cadre en accord avec la période à laquelle il vivait, mais en décalage avec son rang social, quelles significations seront alors produites ? Tentez l’expérience en travaillant sur le contraste ou, au contraire, sur le mimétisme en fondant le sujet dans son environnement.


Etude de nu, L - C. d'Olivier


Etude de nu, L - C. d'Olivier
L’observation indirecte
Elle renvoie à un parcours sollicitant la " réflexion " dans tous les sens du terme. Léonard de Vinci valorise dans ses écrits l’usage du miroir afin de mieux voir ce qui est, comme d’évaluer au mieux la valeur artistique de ce qui est produit. (Carnets, Ms 2038 Bib.nat.28r)
À ’aide d’un ou de plusieurs miroirs, produisez un ou plusieurs portraits à partir soit d’un modèle vivant posant pour les besoins de l’installation, soit à partir d’un portrait réalisé en peinture, d’un dessin, d’une photo ou d’un film.
 
Le miroir ouvre à des jeux avec les inversions, les renversements et les renvois d’images. Il suscite des pertes de repères avec lesquelles il est possible de travailler. Jouer avec la lumière et la pénombre augmente les combinaisons envisageables. De même, les déformations ou les altérations obtenues par la multiplication des réflexions ou l’introduction éventuelle de filtres ou d’écrans créent un écart entre la source initiale (le " modèle ") et ce qui en est vu et regardé.


Etude de nu, L - C. d'Olivier
- Le " miroir " considéré dans un contexte particulier (par exemple dans une voiture en tant que " rétroviseur ", dans une cabine d’essayage ou dans une cabine d’ascenseur) peut ouvrir à des dimensions critiques, humoristiques et sociologiques qui s’éloignent de l’introspection psychologique souvent attendue de son usage dans l’autoportrait.
   
- Dans cette perspective d’interrogation de procédures actuelles, l’usage de la caméra de surveillance, par exemple, offre-t-il de nouvelles occurrences du "portrait " ou introduit-il un autre rapport à l’image : l’enregistrement et l’identification rendus possibles de la sorte suffisent-ils à produire un " portrait " ?
- De même, si la caméra sert à réaliser un auto-portrait, quel pourrait être celui-ci ? Le visage seul doit-il être cadré ? Comment faire jouer le temps et l’espace, y-a-t-il à introduire l’environnement affectif et social, etc. ?
  
    
La mémoire
Liée intimement au portrait dès l'origine, la mémoire ouvre à de multiples démarches artistiques.
  
    
Garder la mémoire
Dès l'origine, le portrait est lié à la mémoire : dans la légende grecque, la fille de Butades de Sicyone trace le portrait de l'homme qu'elle aime en détourant son ombre sur le mur pour en garder le souvenir avant son départ à la guerre.
    
L’une des fonctions premières du portrait - qu'il soit ou non photographique - est de garder en mémoire un visage. Le philosophe Walter Benjamin, dans son essai L’œuvre à l’époque de sa reproduction mécanisée, écrit ceci :
" Dans la photographie, la valeur d’exposition commence à refouler sur toute la ligne la valeur rituelle. Mais celle-ci ne cède pas le terrain sans résister. Elle se retire dans un ultime retranchement : la face humaine. Ce n’est point un hasard que le portrait se trouve être l’objet principal de la première photographie. Le culte du souvenir des êtres aimés, absents ou défunts, offre au sens rituel de l’œuvre d’art un dernier refuge. Dans l’expression fugitive d’un visage humain, sur d’anciennes photographies, l’aura semble jeter un dernier éclat. C’est ce qui fait leur incomparable beauté, toute chargée de mélancolie. "
  
Walter BENJAMIN, in Ecrits français, Paris : Gallimard, 1991, p.150.
 
  
Solliciter la mémoire
Par rapport à l’observation directe ou indirecte, la sollicitation de la mémoire constitue un exercice dans le cadre de l’apprentissage de l’art. Ainsi au dix-neuvième siècle, Horace Lecoq de Boisdauran préconise-t-il nombre de mises en situation durant lesquelles les étudiants des Beaux-Arts sont tenus de regarder pendant une durée limitée, puis de restituer de mémoire l’objet ou la personne vue. Cette démarche rejoint celle du peintre Joseph Turner qui peignait ses paysages de mémoire.
  
  
Appel au souvenir
En reprenant d’autres manières de tels protocoles, il est possible de concevoir des situations invitant diversement à solliciter la mémoire à court ou long terme. Par exemple cela peut être réalisé à partir de visages ou de documents montrés, puis dissimulés ; d’appel aux souvenirs ; de temps d’interrogation d’un même portrait qui seraient ménagés tout au long d’une année, en comparant à la fin de la démarche les différentes réalisations obtenues...
   
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