Comment imaginer, après l’hécatombe de
la Grande Guerre, après le fauchage de tant de vies, généreuses
mais sacrifiées, que la notion de héros ait encore droit de
cité ? La formule de "chair à canon" revient
sous toutes les plumes, aigrie par le dégoût du cynisme et aiguillonnée
par la volonté du "plus jamais ça !". Pour
les monuments aux morts, si certaines municipalités valorisent encore
la posture héroïque, comme un réflexe, un archétype
automatique, la plupart exploitent la douleur, allant jusqu’à la
revendication pacifiste primordiale : "Maudite soit la guerre" (Commune
de Gentioux). Des écrivains comme Giraudoux ou Giono suscitent le
développement d’une culture pacifiste antihéroïque.
Dans la Guerre de Troie n’aura pas lieu, le premier met dans
la bouche d’Hector l’éloge funèbre des morts de
1914-1918, l’héroïsme guerrier, source de sacrifices individuels
et collectifs, lui apparaissant comme un outil au service d’idéologues
se protégeant euxmêmes. Giono dénonce le sophisme de
l’"héroïsme joyeux" :
"Les héros
morts n’ont jamais servi ; certains vivants se sont servis de
la mort des héros ; et c’est ce qu’ils ont appelé l’utilité des
héros. Mais après des siècles de cet héroïsme
nous attendons toujours la splendeur de la paix".
Au service de la propagande
Les totalitarismes se nourrissent de héros de papier, de béton
et d’acier. On assiste au durcissement des valeurs héroïques
dans les idéologies des régimes totalitaires alors que ces
valeurs connaissent un déclin dans les sociétés démocratiques.
Des bras sont armés, des groupes unis sous la bannière de
la production, les têtes nourries de grandes figures emblématiques,
embrigadées dans une politique de revanche. Le mythe de la performance
quasi sacrificielle du mineur soviétique Alexeï Stakhanov,
pulvérisant en 1935 les quotas usuels de production, est reprise
par la propagande communiste, qui lui décerne le titre de "héros
du travail". Adolf Hitler dans ses écrits exalte la figure
du héros en tant que chef, ainsi que le retour de la force et de
la barbarie, et des lois de la nature opposées à celles de
la culture. Le nazisme prône le culte du corps et valorise ses athlètes,
aux Jeux Olympiques de 1936 et dans les Dieux du stade de Leni Riefenstahl.
L’Exposition internationale de 1937 à Paris est l’occasion
d’un face-à-face des puissances de l’Allemagne nazie
et de l’Union soviétique stalinienne, affrontées, par
le biais de figures symboliques monumentales installées au sommet
ou devant leurs pavillons respectifs, dominant le Trocadéro et la
Seine. Dans le pavillon de l’Espagne était exposé au
même moment le tableau sur Guernica peint par Picasso.
La guerre civile espagnole est un exemple impressionnant de la concurrence
des héros entre les deux guerres mondiales. On peut y lire à distance
une répétition générale des figures de la résistance,
dont la guerre d’Espagne fut le creuset. Couverte par des photojournalistes
comme Robert Capa, Gerda Taro ou Agustí Centelles, elle mobilisa
l’opinion internationale dès le début du conflit en
juillet 1936. Les rédactions envoyèrent des reporters pour
couvrir la guerre, des volontaires se mobilisèrent dans toute l’Europe
pour participer aux Brigades internationales. La violence des affrontements
(Teruel, Ebre, Alcazar) entraîne des deux côtés l’héroïsation
des combattants.