ecrire la ville
rencontre avec
Éditrice, Laure Limongi, née en 1976 à Bastia, dirige sa propre collection, LaureLi, aux éditions Léo Scheer. Elle-même auteur et performeur, voisinant avec Christophe Tarkos. Son site RougeLarsenRose est au carrefour de la poésie et de la scène.
textes d'appui
  • L'accumulation des « papiers » officiels, formulaires, cartes, définissent notre rapport à la ville et portent un témoignage de société.
ressources
 
vos productions
Une vue de la ville de Bruges, une publicité nouvelles frontières, une portrait cubiste d’Apollinaire de Pablo Picasso, mais où est le visage, un paysage avec colonnades et berger ramenant son troupeau de chèvre, un paysage méditerranéen, dessin de Denis dessin heu Pessin, sans titre un enfant sourit, Nicolas Poussin, le massacre des saints innocents, le pianiste , magnifique film de Polanski, quelques miettes de pain, une affiche du Titanic, snif, Carmen de Charlie Chaplin, une gravure de Frankenstein, le seigneur des anneaux, les Daltons à table, comparaison des hommes et leur hygiène, caricature de Zola les fesses dans l’encre, bien fait, ça c’est pour les trois horribles chapitres de la Bête Humaine, photo de théâtre l’école des femmes, Théâtre royal de Turin, souvenirs souvenirs, Napoléon sur un cheval, les guignols de l’info, 20 h, sommeil, dodo.
...
Claire, classe de seconde, Lycée J.-B. Schwilgué, Sélestat (67)

Adidas, panzani, nike, liebig, umbro, saupiquet, reebok, milka, quicksilver, charal, columbia, nesquik, royalwear, garbit, airness, rondelé sergio tacchini, nutella, reg512, danone, puma, cochonou, eastpack, amora, quechua, fleury-michon, eider, herta, oxbow, babybel, lewis, nescafé, lee cooper, barilla, creeks, findus, converse, knorr, carhartt, justin bridou, narkotik, boursin, fox, vache-qui-rit, g-star, lays, poivre blanc, curly, globe, lactel, rivaldi, saint-hubert, caterpillar, bonduelle, esprit, kinder, complice, lu, ddp, sodebo, lafuma, tipiak, lacoste, taureau ailé.
...
Création collective suscitée par Florian, classe de seconde, Lycée J.-B. Schwilgué, Sélestat (67)

Sur un ensemble de thèmes différents concernant la ville, partir à la recherche des mots et contenus dont nous disposons. Virgules, pas de majuscules, point final. À partir d’un texte de Christophe Tarkos.

Attention : il ne s’agit pas d’un exercice facile. Et surtout pas d’une « cueillette ».
Au contraire, il s’agit de lever les écrans du réel ordinaire, de le décomposer, et de faire langage de tout ce que nous reconnaissons intuitivement comme partie de sa profusion.
La surprise, c’est qu’à ouvrir ces « trappes » de noms, d’une part on définit, façon Arcimboldo, sa propre emprise, son territoire personnel dans la ville, d’autre part les mots rassemblés refont à leur tour une histoire neuve, et, au-delà de l’accumulation, font se lever à l’arrière-plan la figure d’un sens qu’on aurait, sinon, bien du mal à nommer. C’est l’effet le plus déstabilisant, le plus miraculeux aussi, de ce que propose Christophe Tarkos.
Il s’agit d’un auteur disparu en 2004, à 38 ans, et dont les dernières années ont été consacrées à lutter contre une douloureuse tumeur. Il est important de le mentionner, pour le respect que nous avons envers Christophe Tarkos, mais parce que Anachronisme est son dernier livre, et aussi son livre le plus vaste : il ne s’agit pas d’accumulations de hasard, mais presque d’un testament.
Une permanence du travail de Tarkos a été aussi son rapport à la lecture à voix haute : une lecture très lente, qui déconstruisait les mots de l’intérieur, faisait de chaque mot prononcé une question. Au point qu’il proposait parfois, à partir de ce ralentissement, des improvisations orales. Pour ceux qui l’ont entendu lire, c’était une expérience marquante, unique.

L’inventaire, l’accumulation, est un très vieil usage dans la littérature, depuis les généalogies de la Bible. On en trouve à toutes les époques. Combien de jeux populaires issus du Moyen Âge ne nous sont connus que par les listes de Rabelais ? Une bonne partie de ce que nous savons de concret sur le XVIIe siècle, dans un moment où la littérature s’occupait peu des univers matériels, vient des inventaires après décès ?
Et nous lisons avec fascination, comme de la poésie, les Notes de chevet de Sei Shônagon, écrites au Japon vers l’an 1000…
De nombreux auteurs d’aujourd’hui y ont trouvé ressource, comme Georges Perec avec les listes de Penser / Classer (liste des aliments consommés en un an, inventaire des objets de la table de travail).
Où Tarkos va plus loin, c’est de se saisir des franges du quotidien qui définissent notre rapport à la ville.
Il fait la liste des « papiers » officiels, formulaires, cartes, qui sont obligatoires à chacun dans la vie civile, et d’en nommer un fait surgir le suivant. Et leur accumulation fait surgir la figure de celui qui n’en a pas, de papiers, dessine un portrait en creux de l’administration et ses règles : le texte devient alors un témoignage de société considérable.
Ainsi, aussi, la simple liste des « bruits » de notre environnement quotidien va les multiplier jusqu’au plus mince. Mais, dans les trous et attentes, certains vont reparaître, dessinent un mouvement, presque une menace. Les thèmes les plus simples peuvent donner les résultats les plus surprenants : partir de la météo ou des lumières dans la ville, par exemple.
On explorera spécifiquement les noms propres dont nous disposons : mais en faire la liste brute, tous ces noms de villes, villages, hameaux dont chacun est porteur, dessine une géographie étrange, parce que devenue langage (voir ci-dessous comment s’entend dans cette liste l’ascendance vosgienne de Tarkos).

Dans ce que propose Tarkos, l’accumulation concernant les dispositifs de soins et santé peut être proposée à tous les participants. Elle est plus grave pour lui, qui se sait atteint d’une affection qu’aucun médecin ne pourra vaincre. Là encore, ce qui fait la complexité de la ville, mais appartient à la profusion muette du réel, devient le visage de ce réel.
Comme dans d’autres propositions ici, le livre de Christophe Tarkos est un livre de risque (« Le groupe des personnes qui connaissent mon sexe…), mais il détermine des possibles que nous n’atteindrions pas avec des écritures plus sages.  Pour Christophe Tarkos, Anachronisme est aussi le visage du monde auquel il doit renoncer, et c’est un immense livre pour cela.
Porter attention, dans les extraits proposés de Tarkos, à comment certains éléments en induisent d’autres, par reprises et variations.
Ne pas hésiter à citer en exemple, selon les participants et leurs pôles d’intérêt, des thèmes simples (liste des musiques qu’on entend en différents points de la ville, dans les supermarchés, les bars, les bureaux de poste etc, ou liste des fourgonnettes et camions, ou liste des boutiques où on rentre…) : on nomme l’ordinaire, mais c’est la fonction de nommer qui n’est plus ordinaire, et l’accumulation, pour les boutiques par exemple, deviendra facilement un tableau, inaccessible autrement, des pratiques de consommation.
Insister sur le fait que chaque participant devra tenter plusieurs (trois ou cinq ?) accumulations sur des points de départ différents. Une fois choisi le thème, possibilité de revenir aux différentes accumulations et les pousser, les développer simultanément.
Proposer des thèmes communs : accumulation concernant les bruits, les dispositifs de soins, les noms propres. Demander que chacun décide d’un thème d’accumulation qui lui sera personnel.
Une demande supplémentaire pour ceux qui se sentent prêts : chaque accumulation, chez Tarkos, se constitue progressivement en texte autonome. Percevoir, à mesure qu’on avance dans l’accumulation, ce point qui fait glisser de l’accumulation au texte clôt sur lui-même, presque au bord de devenir une histoire (mais en respectant jusqu’au bout ce principe d’accumulation).
Tenir, à mesure que les participants écrivent, une « liste des listes » de ce qui est en train de s’écrire : cela peut aider à la dynamique. On peut aussi demander aux participants qu’une des accumulations soit la liste des accumulations possibles.
On peut proposer aussi (voir ci-dessous l’inventaire des aliments dans une cuisine) l’insertion d’un élément incongru, ou déstabilisant… (encore mieux si on suggère qu’il devra à peine se faire remarquer).
Pour les plus jeunes, utiliser le côté faussement ludique (ci-dessous : « Dans les huit minutes exactes qui suivent… »).