ecrire la ville
rencontre avec
Exercices à contraintes, manipulations du langage qui nous révèlent une part imprévue du monde, c'est la tâche du collectif dit Ouvroir de littérature potentielle, l'Oulipo. Deux de ses membres, Hervé Le Tellier et Marcel Benabou, nous y introduisent.
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Instructions pour prendre une photographie
par Philippe De Jonckheere

Considérer la scène à photographier, en observer sommairement les hautes et les basses lumières, remarquer une zone qui peut servir de gris moyen à l’ensemble, mesurer la lumière incidente à l’aide d’un pose-mètre. Reporter le nombre d’EV sur une échelle d’exposition, qui, en fonction de la sensibilité de votre film, vous donnera les différents couples vitesse d’obturation/diaphragme possibles, choisir un couple qui convienne à votre situation, reporter les indications du couple sur la rondelle du diaphragme et sur le bouton de vitesse d’obturation, faire la mise au point, recomposer l’ensemble dans le viseur de l’appareil-photo, déterminer la profondeur de champ en fonction du diaphragme et le tirage si vous travaillez à la chambre et que vous photographiez un sujet très proche, attendre patiemment le moment opportun, déclenchez, et développez le film. Ou bien encore, allumer l’appareil-photo, le pointer dans la bonne direction et appuyez sur le bouton, l’appareil s’occupe du reste. Lors de ces deux manoeuvres vous aurez fait exactement la même chose : photographier.
   
Extrait du Petit Journal de Tiers livre

Des séquences banales de la vie ordinaire, décrites avec la précision d’un mode d’emploi, vont transformer ces gestes de tous les jours en conte fantastique. À partir de Julio Cortàzar.

Nous sommes immergés dans la ville. Si la littérature, c’est le langage mis en réflexion, il nous faudrait d’abord apprendre à séparer, isoler la langue du réel qu’elle nomme. On va donc simplement nommer, décomposer, des séquences très banales d’une journée ordinaire.
Seulement voilà : celui qui nous apprend à le faire, c’est Julio Cortàzar, un des plus grands auteurs fantastiques de ces dernières décennies. Alors, tout d’un coup, il est probable que ces gestes quotidiens, une fois mis en écriture, vont devenir un étrange tableau, un grand excitateur à imaginaire. C’est cette production d’écart qui est fondamentale pour la suite : on est passé d’une convocation du monde à une convocation de langue.

Repérage. Avant de développer une ou deux ou trois de ces brèves « instructions », on demande aux participants de faire simplement une liste, un inventaire, de ce qui pourrait s’y prêter, au cours d’une journée ordinaire :
– instructions pour aller prendre l’autobus,
– instructions pour le repas de midi,
– instructions pour la fête du samedi soir.
Il est important de partager le temps de l’atelier pour que chacun ait le temps de pousser sa liste.

Dire qu’il est important qu’un élément vienne de façon surprenante ou imprévue :
– instructions pour attendre sur un banc,
– instructions pour manger gratuitement dans la ville,
– instructions pour se perdre quand on ne s’y attend pas.
Suggérer aussi qu’un exercice aussi simple et discret peut prendre un tour critique ou grave :
– instructions pour échapper aux contrôles de faciès ?
Ou, en se servant chacun de ce qui s’est passé tout au long de la semaine précédente, pour chacun, petits éléments qui ont mis en colère :
– instructions pour la politesse dans la ville,
– instructions pour sourire dans la ville.

Lecture. L’animateur aura sans doute quelques exemples personnels à suggérer : on ne réussit pas une séance d’écriture si on n’a pas soi-même envie et curiosité de ce qui va s’y écrire, et donc si on n’aurait pas soi-même à s’expliquer sur le thème.
Il est possible alors à l’animateur de lire brièvement, en se déplaçant de table en table, les listes rassemblées. Cela peut constituer une bonne amorce pour la seconde phase : prendre une des instructions de la liste préalable, et la développer dans tout son détail, geste par geste.

Le but :  si la littérature, c’est le langage mis en réflexion, il nous faut d’abord apprendre à séparer, isoler la langue du réel qu’elle nomme.
Principe : comme Cortàzar dans ses "Instructions pour monter un escalier", ou ses "Instructions pour remonter une montre", on prend un ou plusieurs des éléments de la liste rédigée dans le premier temps, et on le développe dans le maximum de décomposition et de précision possible, en supprimant toute « intention » du narrateur, transformant la totalité des actions en manuel technique. Phrases courtes, se succédant dans le même paragraphe, on peut même suggérer phrases « dépersonnalisées ». C’est la prise de distance qui va devenir l’espace de liberté du participant, définir la singularité de son regard.
Insister qu’il s’agit vraiment de prendre les choses les plus ordinaires, les plus répétitives de la vie quotidienne : prendre le bus, manger à la cantine, faire ses courses, choisir un film.
À la fin de la séance, ne pas hésiter à se saisir soi-même des textes des participants, et les lire anonymement, les mélanger : l’effet d’énigme sera d’autant plus fort.
Signaler pour finir que l’humour volontaire donne rarement des résultats valables : le fantastique, et l’humour particulier au fantastique, c’est le sérieux avec lequel on appréhende l’ordinaire.   Ne pas chercher à faire rire exprès, bien au contraire, penser à l’immense sérieux des grands inventeurs comiques !
Suggérer que, pour commencer, chacun fasse la liste des cinq ou six thèmes qui lui seraient possibles, avant d’en développer un, le plus en détail possible. Pour cela, on leur communiquera la liste des titres de Julio Cortàzar.