Félix Nadar : George Sand, 1864

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Description d’image

Huit photographies, mais quatre portraits de George Sand cerclés d’une fenêtre ovale en papier blanc, qui donne l’impression d’un cadre. Cette disposition rehausse la féminité de George et donne de la profondeur à son visage. Elle est debout, assise, de face, de trois quarts, de profil. Pas de décor : seul un accoudoir apparait discrètement. La tonalité d'ensemble est claire, douce, flatteuse pour le modèle. George Sand a soixante ans. Elle a perdu ce côté mutin et provocant si cher à son ami Alfred de Musset. Elle n’a plus son regard de feu, son ironie dans la bouche et son front orgueilleux. Nadar ne peut dissimuler sa fatigue. Elle a toutes les raisons de l’être. Elle sort d’une grippe. Quatre dents viennent de lui être arrachées. Les répétitions du Marquis de Villemer l’ont fatigué.
Nadar sait aussi que le vêtement raffiné est important pour George Sand. Il réussit à saisir la transparence des dentelles et à laisser s’épanouir les matières. Elle se présente avec quatre tenues différentes : robe de moire unie agrémentée d’un petit voile de dentelle noire noué au cou ; casaque et jupe en tissu à rayures par-dessus la robe de moire ; robe à deux couleurs en soie ornée de rubans. La romancière s’est prêtée aux jeux de Félix qui l’a drapée dans un tissu de velours noir couvrant sa robe, le même que revêtit Sarah Bernhardt quelques mois plus tôt.
Elle arbore ensuite trois coiffures distinctes : Une raie médiane au milieu divise en lourds bandeaux ondulés ses cheveux disciplinés. Elle les maintient grâce à une pommade à la violette. Un voile de dentelles noires recouvre un chignon haut. Puis, une perruque Louis XIV, référence à Molière que Nadar admire tout autant. En la couvrant ainsi, il rend un hommage clair à la plus grande femme de lettres de son temps. Aux oreilles, les même boucles, conservées aujourd’hui au Musée de la Vie Romantique.
Nadar sait que la lumière vive est peu courtoise avec les femmes que l’âge n’épargne pas. C’est pourquoi il use d’une lumière diffuse, douce et calme. La source est proche du modèle et produit très peu d’ombres.

Protocole photographique

La première séance de prise de vue à lieu le 4 mars 1864 à 11 heures. Le 13 mars, Félix, Ernestine et Paul lui apportent les dernières épreuves. Les séances sont longues dans le salon de Nadar et ce dernier est très patient avec la romancière.
Il reste une série de clichés-verre au collodion. La plupart, au format 18 × 24 cm associent quatre poses et donnent par contact des épreuves format carte de visite. C’est ce dont il s’agit ici. George Sand y figure en buste. Les autres, au format 21 × 27 cm correspondent à une pose unique et offrent des épreuves de grand format.
Habituée à voir ses traits flattés par les peintres et dessinateurs de talent, elle est en droit d’espérer de la photographie quelques enjolivements. C’est ce que lui propose l’atelier Nadar qui va retoucher ses photographies. Les clichés verre sont par endroits grattés au stylet et rehaussés au pinceau afin d’atténuer ou faire disparaitre les rides ou cernes, accentuer la ligne des sourcils. Nadar s’est assuré la collaboration d’un peintre spécialiste en ces travaux. Les effets sont subtils.
 

Intention et dispositif

En 1852, George Sand profite d’un séjour parisien pour poser pour le photographe Pierre Ambroise Richebourg. Elle n’est pas du tout satisfaite du résultat. Elle y apparait fatiguée, désolée. Elle, si combattive, a détesté se voir aussi défaite. Elle exige donc du photographe qu’il détruise les épreuves et daguerréotypes. Il ne reste plus rien de ces derniers, mais plusieurs épreuves sont conservées. Elle mettra dix ans avant d’oser retourner dans un studio. Elle choisira Félix Nadar.
Avant 1864, et cette rencontre photographique qui inaugurera une vraie amitié, Nadar éprouve pour George Sand une vraie admiration. Il ne s’en cache pas. Dans son Panthéon, il la représente en buste classique de pierre blanche juchée sur socle-colonne, au tout premier plan de son travail. Victor Hugo est à quelques centimètres, en contrebas. La dédicace de son livre Quand j’étais étudiant publié en 1856, est toute à George Sand : « Á MADAME GEORGE SAND. Enthousiasme fervent et profond respect ». Nadar et George s’écrivent. Elle suit de loin son évolution.
Seul « bémol » à cette relation émerveillée : en 1861, Nadar récupère un portrait de la romancière fait par Richebourg. Il retouche le visage et le costume et le commercialise en format carte de visite auprès des amateurs. Il a besoin d’argent pour ouvrir son atelier boulevard des Capucines. Il est également pressé par son protecteur Charles Philippon qui l’encourage à vendre les images des célébrités qui sont passées chez lui. (E. Disdéri avait mis au point ce procédé quelques temps plus tôt.) George Sand ne semble pas lui en vouloir et lui écrit en 1863 : « Cher Monsieur, vous vendez une photographie de moi qui fait jeter les hauts cris à tout le monde et que je désavoue tant que je peux. Si elle n’était pas vendue chez vous, j’aurais cent fois protesté. Mais le meilleur remède ne serait-il pas d’en faire une meilleure ? »
Elle invite Nadar à Nohant. Mais un mois plus tard, Nadar et sa femme chutent dangereusement près de Hanovre à bord du Géant. Nadar lui écrit pour la rassurer sur leur état de santé. En février 1864, elle réitère à Nadar sa proposition d’un nouveau portrait photographique. Tout Paris est au courant. George Sand va enfin se faire photographier !

Analyse et interprétation

La première expérience photographique de George Sand, en 1852, fut négative.
En voyant le résultat quelle juge peu flatteur, elle refuse que l'on diffuse son image. Il faudra attendre 1864 et sa rencontre avec Nadar pour qu’elle l'apprivoise. Très satisfaite de ses portraits, elle en commande une grande quantité.
Edmond Texier écrit dans le numéro du 26 mars 1864 de L’Illustration : « Nous donnons le portrait de Mme Sand d’après la récente photographie de Nadar. Ce portrait rend admirablement le caractère de la belle tête de Mme Sand, de ce visage énergique, où la beauté se mêle à la majesté. Les yeux si grands, si doux, la bouche grande, mais superbe, l’oreille mince et fine, le contour si pur des lignes, tout est vrai. Sous l’écrivain de génie, on retrouve la petite-fille de Maurice de Saxe ; il y a de la grande dame dans ce grand homme. »
Après une série de plusieurs portraits, George Sand utilisera ce support comme véritable moyen de communication. Ses correspondances seront accompagnées bien souvent de petites photographies au format "carte de visite", très en vogue à l'époque. Ses éditeurs publieront sa photographie en début d’ouvrage. Le monde des lettres comprend rapidement l’usage commercial qui peut être fait de la photographie.
Quant aux images de Nadar, elles sont très sobres. Même si l’expérience de la perruque et du drapé de velours sombre – qui lui permet des effets de lumière – opère comme une rupture par rapport aux autres physionomies. Nadar la métamorphose avec admiration. Et elle semble s’être laissée faire avec décontraction.
Chaque portrait possède sa propre respiration lente sous le regard précis de Nadar. Point de joie, de rire, mais une sérénité tranquille. Et s’il use des retouches pour faire plaisir à celle qui admire depuis des années, c’est aussi pour accéder à une certaine vérité. Ses tirages sont très harmonieux dans l’homogénéité des tons. L’œil se déploie, peut regarder sans être sans détourner par des détails inutiles.
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