Raymond Bozier est né en 1950, dans la Vienne. Il vit aujourd’hui à La Rochelle. S’il est d’abord poète, il s’est engagé plus récemment dans la prose et le roman.
« Pour écrire, il faut déjà écrire », disait Maurice Blanchot.
Aussi, pour un animateur d’atelier d’écriture, la première consigne est très importante : elle va permettre de « lever » un matériau écrit à partir duquel l’atelier aura déjà figure, et doit permettre de rendre concret ce matériau, dans ses enjeux d’écriture, alors que les participants n’ont pas encore l’idée concrète de l’aventure qui commence.
Ce n’est pas le réel lui-même, qu’on saisit, mais (et même si cette représentation est bien réelle, que des fenêtres on aura les vitres, le bord, les poignées) la façon dont le dehors, profus, incernable, construit son image en deux dimensions dans les frontières, le cadre d’une vitre.
Alors qu’on va saisir, pour écrire la ville, des mouvements, des événements, des occurrences singulières, cette première écriture traite de la permanence : ce qu’on voit de la fenêtre peut varier selon saisons, heures (c’est d’ailleurs une des variantes possibles de l’exercice), mais n’est d’abord, pour celui qui écrit, qu’une disposition de couleurs et de formes.
Et bien sûr, la fenêtre est une protection, une séparation. L’atelier d’écriture « écrit » d’abord celui qui participe, le met en travail (ce travail que nous accompagnons) : dans cette première séance, le sujet écrivant ne traite que de ce qu’il y a « de l’autre côté »de la fenêtre. L’écriture n’implique pas.
Par contre, le réel qui va être mis en écriture, lui, implique lourdement la communauté, parce qu’il est ce qu’on regarde sans voir, sans nommer, il est la construction arbitraire du monde qui nous entoure.
La fenêtre la plus intime ou secrète, c’est celle où on rêve, où on retrouve la sécurité : chez soi. Alors on voit quoi, dehors ? (Je me souviens d’un participant, en lycée professionnel, qui m’avait lancé : « Mais moi, monsieur, c’est un Velux, on ne voit que le ciel… » J’avais répondu en citant « les merveilleux nuages » de Baudelaire, et ce texte sur le Velux est un de mes plus beaux souvenirs d’écriture : un oiseau, à la fin, traversait la phrase.)
Le présent, dans la fenêtre 1, est déjà ce qu’on en garde intérieurement, il convoque une imagé mémorielle proche. Dans la fenêtre 2, on va convoquer la même intensité, un réel « qui compte », mais le jouer dans la mémoire lointaine : quelle fenêtre trouvons-nous, au plus loin de la mémoire ?
La ville c’est un ensemble abstrait, des couleurs qui manquent, un côté anonyme : passez en train à travers une ville, vous reconnaîtrez tout de suite les établissements scolaires. On veut une fenêtre liée à l’environnement de travail, la salle de classe, la cafétéria du midi, la bibliothèque, la salle où, ici tout de suite, on écrit. C’est plus difficile, parce qu’on voit moins : peut-être n’y a-t-il qu’un parking, une grillage, un coin de ciel. Mais si, alors, ce coin de ciel était important à écrire ?
Dans la ville, nous sommes en mouvement. Ces trajets sont des temps important pour penser, se confronter aux autres. La vitre du train, celle de l’autobus dans le trajet du matin, la visière du casque de scooter, le pare-brise de la voiture sont autant de cadres fixes : mais, celle fois, l’image qu’elle borde est mobile. À chacun d’écrire sa « fenêtre en mouvement ».
La fenêtre c’est l’ouverture sur le monde. Écrire la ville, c’est l’observer. Fenêtre d’un café ou poste fixe dans la galerie commerciale (où mangent-ils leur sandwich du midi, les lycéens en stage professionnel ?), ou bien ces autres fenêtres qui sont notre relation à l’autre dans le contexte d’aujourd’hui : la fenêtre du téléphone portable, celle de l’écran d’ordinateur ? À chacun de nous dire où il trouve sa « fenêtre sur le monde ».
Pour la fenêtre « en mouvement », le livre de Raymond Bo-zier, Fenêtre sur le monde, propose des « impresses », brèves notations instantanées, comme du vers libre. Mais lorqu’il se confronte à ce qui, ici, est la fenêtre 3, cafétéria dans une zone commerciale, les phrases deviennent des phrases nominales (pas de verbe), et c’est une technique que Rimbaud, le premier, a donné sa pleine légitimité. Or, le verbe n’existe qu’avec sujet, et ici pas besoin de sujet : on ne parle que de ce qu’il y a de l’autre côté de la vitre. Alors proposer d’utiliser radicalement, dans une des fenêtres, la contrainte du « sans verbe », et de l’utiliser largement (verbes à l’infinitif, verbes conjugués seulement dans les propositions relatives) dans les autres fenêtres.
Insistez bien sur la nécessité de CINQ fenêtres : c’est de répéter l’exercice qui créera la surprise de l’écriture. Et le texte bref contraindra à plus de densité. On peut proposer de plier en six une grande feuille A3, et de réaliser sur cette page, qui coupe le réflexe scolaire, comme un assemblage d’images, de cartes postales.
L’exercice présenté est une consigne éprouvée, et, dans le principe de variations, se joue une révélation importante : on accorde le point focal sur l’écriture, son expansion, sa façon de changer de point d’appui pour affronter un réel spécifique, mais résistant à l’écriture.
Alors première variante, garder le principe de variation, mais utiliser une seule fenêtre, pourvu qu’elle compte, et décliner ce qu’elle encadre selon les heures, jour, nuit, et les saisons, pluie, dimanches. C’est une variation possible à condition qu’il s’agisse d’un groupe d’écriture expérimenté, qui a les moyens techniques de s’en remettre au « presque rien » qu’exige ici l’écriture.
Parmi les textes des séances « pilote » présentées avec cette séance, celle réalisée avec une classe de 4e d’un collège de Pau dans leur CDI, vitré des trois côtés, et vision ouverte sur la ville, immeubles d’un côté, préau et installations sportives sur le deuxième, rond-point et montagnes sur le troisième. Plusieurs élèves s’étaient installés tour à tour devant les différentes fenêtres, et il y avait une grande magie, à cet effort d’écriture qui se multipliait dans une vision pourtant « pauvre ». On peut proposer ainsi, selon le lieu où on propose la séance, d’utiliser les fenêtres réellement accessibles, en haut de l’escalier, côté rue, salles où n’entre pas autrement… Mais respecter le principe de plusieurs fenêtres.
Enfin, une dernière variante, par analogie : Espèces d’espaces de Georges Perec, qui parle des chambres, des couloirs, des escaliers, de la rue, comporte un chapitre « portes » et pas de chapitre « fenêtres ». La porte, c’est le contraire de la fenêtre : on la décrit depuis l’extérieur, il n’y a rien d’autre à voir que la porte elle-même, on ne sait pas d’avance ce qu’elle cache derrière, mais elle est aussi une sorte de dépôt du dehors, de continuité avec lui. Il y a de belles séances à faire, en demandant simplement aux participants de décrire une suite de portes, selon le même principe de variation que ci-dessus (chez soi, mémoire, travail…)