La ville, c’est avant tout la communauté qui la forme. Elle n’existe que par les sujets qui la font.
Après avoir travaillé sur territoires, lieux, vues fixes, on va aborder les personnages.
L’idée : une suite de croquis rapides, la silhouette saisie d’un seul trait, en une ligne ou une ligne et demie.
Ce faisant, on quitte le domaine de l’exercice. D’abord, parce que la représentation anthropomorphique est liée à l’origine de la graphie : les premiers personnages surgissent dans les dessins rupestres sitôt après maîtrisée la représentation rituelle de ce qui fait peur, l’animal qu’on chasse. De même, les silhouettes de personnages, chez l’enfant, surgissent dès la première acquisition du dessin, avant le soleil et la maison.
Il y a aussi un enjeu théorique : la ville moderne, c’est un personnage parmi la foule, et nous-mêmes en partie anonymes.
Pour cette raison, et bloquer toute rhétorique à sa source, avant de proposer la construction complexe d’un personnage, je propose cet exercice, qui consiste à capter le maximum de silhouettes différentes, chaque fois par une seule phrase brève et précise.
Le texte d’appui, Quelqu’un quelque part, date des débuts de Henri Michaux, période de son Sportif au lit. C’est un texte qu’il ne retient pas dans son premier livre, Mes propriétés, alors que dans les livres suivants il inclura ces textes qui sont à la fois des montées en intensité, et une conquête de son propre matériau narratif.
Ce qu’il faut signaler aux participants, c’est la façon dont l’incise récurrente (Quelqu’un…) induit déjà, parce qu’on recopie, qu’on ait à continuer la phrase : c’est presque la main, et non la tête ou l’idée, qui construit le texte.
Et c’est visible chez Michaux : quand il ne trouve rien, il continue cependant à écrire (Quelqu’un… zut.).
Signaler aussi que des phrases de grande gravité peuvent être suivies de phrases beaucoup plus légères.
De même, Michaux accepte par instants les associations sonores, les analogies et associations de pensée, se laisse dériver, le temps que revienne une silhouette.
Aux participants de choisir leur fil rouge : à l’instant précis où ils écrivent, que font chacune des personnes qu’ils connaissent dans la ville ?
Bien insister sur le fait qu’il s’agit d’une écriture continue, sans tri. C’est la rapidité qui nous fera découvrir des silhouettes imprévues.
Bien expliquer aux participants que, pour Henri Michaux, jeune auteur Belge vivant à Paris, revenu de ses expériences de marin, et de ses deux voyages en Équateur et en Asie, c’est cette écriture qui lui permet de trouver son matériau fictionnel : les figures fantastiques de la Grande Garabagne n’existeraient pas sans ce travail sur le réel tout proche.
On peut proposer de plier verticalement la feuille, et d’écrire sur la partie interne, de façon à ce que la verticalité de la feuille augmente la dynamique d’écriture.
Pour la lecture à voix haute, soit chaque participant lit la totalité de son texte et passe la parole à son voisin, soit chacun se lève à son tour, et coupe la parole au précédent, chacun lisant alors 3 ou 4 items jusqu’à épuisement…
Pour rassurer les participants, au départ, les inciter à réfléchir sur comment ils vont organiser leur « quête » : à un instant précis (dans La Chair de l’homme, Valère Novarina déploie ainsi une « rosace » depuis son souvenir d’enfance de la fête foraine qui venait s’installer chaque début septembre dans sa ville, Thonon-les-Bains, en Savoie : « Le samedi 10 septembre, à 14 heures… », et il saisit plus de 1200 personnages – un par verbe d’action de la langue française), ou bien géographiquement, par cercles concentriques depuis le lieu où on se trouve, ou bien seulement en partant de tous les gens qu’on connaît ?