Tom Drahos, Chevreuse (Seine-et-Oise), 1986

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Description

Une série de neuf images presque monochromes encadrées par des bordures noires sont assemblées comme dans une mosaïque ou sur un écran de contrôle. Sur huit d'entre elles, bleu nuit, on distingue des allées formant des bandes parallèles et des éléments de clôture. Elles encerclent la photographie orangée d'une maison entourée de végétation et vers laquelle on reconnaît les indices du chemin qui y mène. Le cadrage penché des images violettes suscite une certaine tension voire un sentiment d'anxiété. Les lieux d'une banalité extrême semblent à la fois habités (la maison, l'allée) et sans vie (une silhouette de dos). Quant à l'endroit de la prise de vue indiqué dans la légende, une commune périurbaine de la région parisienne, l'image ne permet pas de l'identifier. Pourquoi ce choix d'un l'éclatement formel et coloré et d'une forme de déterritorialisation de la photographie ?
 

Le protocole photographique

Photographe d'origine tchèque arrivé à Paris dans les années 1960, Tom Drahos documente la ville dans la veine humaniste avant selon son expression de « transgresser le dogme de Cartier-Bresson » en utilisant la couleur dans une démarche résolument plasticienne. En s'intéressant aux aspects urbains fugitifs, les sujets et les événements tendent à disparaître au profit de formes colorées.
Il participe à la mission photographique de la DATAR lancé en 1984 qui vise à « représenter le paysage français des années 1980 ». Ces dernières marquent un double tournant dans la photographie de paysage : les institutions culturelles (dans lesquelles s'inscrit cette commande de la DATAR) reconnaissent désormais les photographes comme artistes et leurs images comme œuvres. La notion de paysage est par ailleurs questionnée suite aux mutations qui l'affectent. Les bouleversements économiques et sociaux engendrés par les Trente Glorieuses ne permettent plus de se représenter la France comme un territoire rural immobile et même si des publicitaires choisissent le village éternel et rassurant dans les affiches électorales du candidat Mitterrand aux élections présidentielles de 1981, le centre de gravité sociologique de la France s'est déplacé vers les zones périurbaines. C'est ce territoire à l'identité floue que choisit Tom Drahos pour en faire son laboratoire d'expérimentation photographique.
 

Démarche / intention

Tom Drahos aime décomposer et recomposer le film photographique. Il utilise des filtres colorés pour ses prises de vues qui sont parfois retravaillées avec d'autres techniques (caméra 16 mm) pour obtenir un médium au statut incertain entre photo, film et peinture. L'agencement des images aux couleurs souvent complémentaires dans des liserés noirs rappelle les vitraux médiévaux. « les clichés de Tom Drahos se dotent d'une texture qui supplante le reste. Ce n'est donc plus tant ce qui est représenté, mais les qualités graphiques et chromatiques qui comptent dans l'image, à la fois outil et matériau. » (Extrait du DVD Photo / Photographes, collection « Dévédoc », SCÉRÉN-CNDP, 2008).

Analyse / interprétation

L'image médiévale privilégiait le symbolique au réalisme. Avec cette construction nous sommes en présence d'une idée de banlieue périurbaine plutôt que de sa représentation figurative. De nos jours, la mosaïque des écrans des caméras de surveillance ou les reportages télévisuels nous montrent une banlieue fantasmée, souvent inquiétante, toujours déconnectée du réel.
La vision éclatée qui peut évoquer la ségrégation socio-spatiale à l'œuvre dans ces territoires renvoie surtout à la définition problématique de ces lieux périurbains à la fin du XXe siècle. Géographes, démographes, sociologues, responsables politiques tentent alors de cerner ces espaces frontières aux limites floues qui échappent à la dichotomie ancienne (urbain/rural). Où ces chemins et ces rues nous mènent-ils ? Quelle est leur nature ? Publique ou privée ? Sommes-nous en ville ou à la campagne, à l'intérieur ou à l'extérieur ? Quel fait divers s'est déroulé dans cette maison ? Cette image multiple est-elle une séquence de photogrammes de film ou une série d'images fixes ?
Par un travail plastique pur, Tom Drahos nous fait comprendre que les marges banlieusardes apparaissent inquiétantes parce que leurs représentations sont le plus souvent l'objet de manipulations.
 
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