Beatrix von Conta, Luc-en-Diois, pont sur la Drôme au Saut de la Drôme, 2011

Cliquer sur l'image pour agrandir

Description

Dans un paysage rocheux surplombant une retenue d'eau teinte d'un camaïeu de bleu, un poids-lourd jaune orangé semble transpercer la montagne sous un ciel serein. La scène est observée par un personnage féminin minuscule dans ce décor monumental. La légende de la photographie situe la scène à Luc-en-Diois dans la Drôme, où un pont surplombe le célèbre Claps, un chaos rocheux et pittoresque issu d'un éboulement qui, au XVe siècle, obstrua le cours de la Drôme. Pourquoi et comment Beatrix von Conta a-t-elle agencé ces deux mondes auxquels le spectateur est confronté dans l'image : celui de la modernité des flux face à l'univers minéral qui relève d'un temps géologique ?
 

Le protocole photographique

Une quarantaine de photographes, dont Béatrix von Conta, participent au projet France(s), territoire liquide, une mission inscrite dans une longue tradition photographique qui vise à documenter le paysage français, depuis la Mission héliographique de 1851 à celle de la DATAR dans les années 1980. Lancée en 2011, l'objectif de FTL est de « dire un pays sans le figer ». Les photographes, qui ne sont soumis ni à une commande ni à une institution, s'efforcent de cerner les mutations d'un pays inséré dans la mondialisation, d'un territoire complexe fait d'héritages et de dynamiques contemporaines. Si la dimension plastique domine les préoccupations documentaires, le changement de regard rappelle les transformations d'une science géographique qui, dans les années 1960-1970, est passée d'une vision statique de la France, immortalisée par les cartes de Paul Vidal de La Blache à une conception dynamique du territoire où les flux jouent un rôle majeur dans l'organisation de ce dernier.

Démarche / intention

En parcourant le monde pour en donner des images fixes, le photographe dispose d'un médium idéal pour rendre compte du contraste entre l'immuable et l'éphémère, le solide et le fluide. Certains lieux intéressent Béatrix von Conta « par leur extrême hétérogénéité, une certaine dissonance, l'incroyable diversité des détails qui les composent. J'ai l'impression de ne pas pouvoir si rapidement épuiser leurs strates multiples » dit-elle en 2013. À l'affut des contraintes logistiques qui bouleversent notre vision classique du paysage, elle en traque la mémoire et ses transformations. Le camion est anobli par son insertion parfaite dans un décor à forte valeur patrimoniale. Ce paysage touristique se détourne de la carte postale pour signifier que nous vivons dans un monde en réseau. « Ces territoires reflètent pour moi la fragmentation, l'éclatement, la crise identitaire du monde d'aujourd'hui. Nulle unité, point de repères, multiplicité des problématiques. »
 

Analyse / interprétation

La photographie peut se lire comme une carte géographique. Les quadrilatères formés par les masses rocheuses calcaires, le camion, le pont et les maçonneries en amont forment autant d'aplats colorés ou de strates inscrites dans le répertoire classique du paysage (montagne, lac, rivière, arbres). Se superpose à ces figurés de surface le petit personnage en blanc. Il s'inscrit dans un ensemble de verticales qui rythment l'image et donnent l'échelle de la représentation.
Les couleurs complémentaires (bleu et orange), l'agencement complexe des masses nous rappellent les paysages de Cézanne où les plans ne sont plus échelonnés et où il s'agit moins de représenter que de créer du réel. Ce jeu à la fois géographique et plastique d'emboitement d'échelles spatio-temporelles permet de cartographier les symptômes d'un paysage en mutation. Le monde dans sa minéralité immuable est devenu un espace fluide de transit dans la mondialisation.
 
Voir la série complète