Photographier l'architecture
L'architecture vue de l'intérieur
Photographie et architecture
La photographie primitive trouva dans l'architecture un sujet statique
idéal qui lui permettait d'effectuer des temps de pose illimités.
À cela, il faut ajouter l'intérêt croissant de la
société du second Empire pour l'inventaire systématique
des monuments anciens, de style gothique en particulier.
Au surplus, dès 1851, le critique
Francis Wey insiste sur la valeur documentaire de la photographie
et sur ses qualités à représenter l'architecture
: “Une médiocre épreuve héliographique du
portail de Chartres ou de Bourges sera toujours préférable,
et comme fini, et comme relief, et comme précision, à
la gravure la plus accomplie. Dans toutes sortes de sujets, la reproduction
plastique est tout, et la photographie en est la perfection idéale.
Telle est même la puissance presque fantastique du procédé,
qu'il permet à l'examinateur d'un dessin d'architecture de l'explorer
comme la nature même, et d'y faire des découvertes inaperçues
sur le terrain.”
Ces capacités que l'on attribuait à la photographie engagèrent
la même année la Commission des Monuments historiques à
commander à cinq photographes (Baldus, Le Secq, Le Gray, Bayard
et Mestral) une
mission
héliographique en vue de constituer l'inventaire des richesses
monumentales de chaque grande région de France. Mais les résultats,
pourtant très satisfaisants, de cette mission ne furent jamais
publiés. Forts de cette expérience, certains photographes
constitueront de leur propre initiative des albums dans l'espoir de
les publier.
Une approche monumentale : l'exemple de Le Secq
Jean Louis Henri Le Secq Destournelles (1818-1882) publia la majeure partie
de ses clichés pris des cathédrales de Chartres, de Strasbourg
et de Reims sous la forme d'albums photographiques. Le Secq décompose
l'édifice en parties autonomes qui se suffisent à elles-mêmes.
La compréhension de l'édifice se réalise donc par
l'accumulation de ces parties. C'est avec un souci archéologique
qu'il reconstitue un ensemble monumental.
Henri de Lacretelle, commentant le travail de Le Secq, écrit
: “Il a rapporté pierre à pierre les cathédrales
de Strasbourg et de Reims […]. Nous sommes montés, grâce
à lui, sur tous les clochers ; nous nous sommes suspendus à
toutes les corniches. Ce que nous n'aurions jamais découvert
avec nos yeux, il l'a vu pour nous, en posant son appareil sur toutes
les hauteurs.” L'album, considéré comme une totalité,
avait suscité un tel enthousiasme que Lacretelle n'hésita
pas à déclarer que Le Secq, reconstituant Reims et Strasbourg,
avait “fait son monument”.
Le monumental se retrouve aussi dans la dimension que les photographes
donnaient à leurs épreuves, comme si la monumentalité
était proportionnelle à la dimension de l'épreuve
photographique. Les photographes de cette époque, les primitifs,
se plaçaient dans une tradition de la représentation du
monument qui se résumait souvent à faire le “portrait”
d'édifices sans appréhender l'espace interne de l'enveloppe
architecturale.
L'approche d'Atget
Pour l'église Saint-Gervais-Saint-Protais, Atget envisage l'étude
du monument à l'intérieur et au cœur de celui-ci. À
ce titre, il n'évoque l'extérieur de l'église que
par la maquette de la façade. La lente progression des détails
des miséricordes vers les vues plus larges du chœur et des
collatéraux introduit une approche spatiale de l'architecture accompagnée
d'une analyse volumétrique. Quand Atget photographie l'intérieur
de l'église Saint-Séverin, il utilise les rangées
de chaises dans les collatéraux pour appuyer le mouvement et l'enchaînement
des espaces. Un éclairage subtil des structures architectoniques,
la continuité des arcs vers une percée lumineuse qui feint
d'éliminer le mur de l'église sont autant d'éléments
qui laissent apparaître une juste appréhension de l'architecture
gothique. De la même église, Atget photographie les arcs-boutants
à l'extérieur. Par une fine analyse des structures, il créé
une équivalence entre les arcs-boutants, la perspective et l'élévation
du collatéral. Les arcs-boutants qui, par leur fonction, renvoient
à l'espace interne de l'église trouvent ici une force évocatrice
et métaphorique.
C'est donc avec une certaine compréhension du volume qu'Atget photographie
ces monuments. En cela, il réussit ce que les photographes du XIXe
siècle, trop occupés à inventorier le patrimoine
monumental, n'avaient pas intégré : l'espace interne de
l'architecture.