L'arbre et le paysage
Les primitifs de la photographie se sont très vite emparés
des genres de la peinture et de la gravure afin de pouvoir se mesurer,
voire rivaliser, avec ces dernières. Le paysage est un genre
qui, comme les vues de monuments, permettait aussi aux photographes
d'éviter des problèmes techniques liés à
la lenteur de leur procédé d'enregistrement. Atget, pour
sa part, ne s'est pas directement investi dans ce genre, mais va davantage
inventer une nouvelle approche du paysage, notamment en s'attachant
à représenter des morceaux de la nature, tels les arbres.
L’arbre est un motif essentiel de l’histoire de l’art
que l’on retrouve à la fois dans la peinture de paysage
et dans la gravure. Sous la Restauration, ce motif va connaître
un essor extraordinaire grâce aux nombreux manuels d’apprentissage
du dessin. Les conseils donnés aux néophytes se limitaient
la plupart du temps à une étude scrupuleuse de la nature
et dans laquelle l’arbre tenait une place de premier ordre.
Dans les séries des fortifications, de Sceaux ou de Saint-Cloud,
le motif de l'arbre représenté avec un souci du détail
est récurrent. Aussi, il semble probable que le photographe se
soit appliqué à livrer aux peintres et dessinateurs une
étude pouvant se substituer au dessin. Mais Atget dépasse
cet héritage en livrant une représentation inédite
de l'arbre. Car c'est au moyen d'un motif archaïque que le photographe
nous donne une représentation du paysage de la marge.
Le baroque dans les jardins de Versailles
Le château et les jardins de Versailles vont occuper Atget tout
au long de sa carrière. La qualité extraordinaire et l’invention
formelle de certaines des photographies des jardins témoignent
d'un goût prononcé pour cette nature dessinée par
l'homme du XVIIe siècle. Dans un souci
de comprendre l'œuvre en son entier, il est nécessaire de
mettre cette série en relation avec le travail d'historien qu'effectue
Atget à propos du vieux Paris, celui du XVIIe
siècle en particulier. Car comment peut-on expliquer qu’Atget
évite de photographier la rigueur du tracé haussmannien
alors qu’il ne dédaigne pas représenter les lignes
géométriques de Le Nôtre ? De plus, si le Paris de
Haussmann constitue le symbole d’un pouvoir centralisé, Versailles
n’en est-il pas le modèle par excellence ? Atget refuse de
photographier le Paris haussmannien, mais n’hésite pas à
photographier son archétype, Versailles. Car Versailles représente
aussi le paroxysme du baroque et du classicisme que Haussmann va réutiliser
pour aménager le nouveau Paris. En définitive, plutôt
que de dévoiler le Paris moderne, Atget préfère photographier
son origine dans le baroque de Versailles.
Dans les jardins de Versailles, de la même façon qu’à
Paris, Atget s’attarde surtout aux frontières de son sujet.
Comme pour les fortifications, Saint-Cloud ou Sceaux, c’est encore
l’arbre et la végétation en friche des marges qui
viennent troubler l’ordre général des tracés
rectilignes.