Née en 1979 à Paris, Béatrice Rilos est diplômée de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Enfin. On fera silence, publié au Seuil en 2007, est son premier livre.
C’est un journal. Chaque jour, nous emmagasinons en continu
le réel (très précisément, une suite de 25 milliards
de photons environ, 14 fois par seconde).
Le cerveau reconstruit l’image, nous envoie divers signaux d’alerte,
ou de processus de reconnaissance.
La ville multiplie ces signes, parce que tout va vite, parce qu’il peut
y avoir danger (même quelque chose d’aussi simple que traverser une
rue), et simplement par la densité des personnes qui vous entourent.
Le jour, nous ne trions pas ces signes. C’est le rôle de la
première phase de sommeil. On va en oublier une bonne partie (c’est
un mal être grave, lorsque cette fonction d’oubli ne s’accomplit
pas, voir L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau d'Oliver
Sacks, mis en scène par Peter Brook).
Dans ce flux continu de ce qui est le réel de la ville, nous adviennent
des conversations (ou fragments de conversations, choses entendues dans le bus,
dans un magasin, ou juste comme ça dans la rue), des moments singuliers
(un reflet, une attente, une situation), des événements (un accident,
une bagarre, un orage), ou simplement une variante dans ce qui se répète
au jour le jour (la Une du journal, les actualités télévisées,
les paroles échangées par habitude).
Le Journal de
Franz Kafka nous est infiniment précieux, parce
qu’il rassemble, au jour le jour, ces observations, dans leur plus grande
variété de registres.
On traverse au carrefour, et soudain, ce qu’on va noter au retour,
c’est : « L’insatisfaction dont une rue offre l’image,
chacun lève les genoux pour quitter la place où il se trouve. »
Au Québec, une maison d’édition s’appelle L’instant
même.
Ce qu’on propose, c’est de retrouver, sur les sept jours écoulés,
un de ces instants qui échappait à la routine, situation singulière,
par quoi la ville, prise à défaut, va livrer un autre visage
d’elle-même.
Pourquoi sur sept jours ? Parce qu’on force ainsi les flashes (en
poésie, on nommait aussi cela épiphanies, apparition,
manifestation d’une réalité cachée). On va ainsi balayer
un rapport chaque fois différent au réel : appels téléphoniques
ou messages, bribes de paroles et scènes de rue, simples souvenirs visuels.
Mais surtout, parce qu’ils seront, pour chaque jour, dans un rapport différent à la mémoire.
Pour les jours immédiatement écoulés, il faudra trier dans
la profusion, séparer le plus singulier. Pour les jours à l’autre
bout de ce mini journal d’une semaine, il faudra au contraire aller repêcher
dans l’oubli, reconstruire les durées.
Et petit ajout formel : c’est ce qui détourne
l’attention des contenus, et donne une clé d’entrée
pour s’en saisir. Souvent, les brèves notations quotidiennes de
Kafka sont en trois phrases. Une phrase décrit ou expose. Une phrase
fait le zoom sur la singularité de la scène, ou rapporte une
parole entendue, un arrêt sur image, un détail agrandi. Une phrase
renvoie ou réfléchit tout cela à l’intérieur
de nous-même.
L’ordre n’est pas obligatoire : mais construire un paragraphe
avec trois brèves phrases, une sorte de musique ternaire du récit,
c’est immensément générateur !
Post-scriptum : lorsque je pratique cet exercice, ou un exercice similaire,
il m’arrive de proposer – puisqu’on a sept paragraphes, un
par jour – qu’un des sept soit entièrement fictif. Mais à une
condition : que personne ne puisse repérer avec certitude lequel
c’est. Manière de conférer à la totalité du
réel son potentiel fantastique !