Né en 1948, Jean-Jacques Salgon vit entre l'Ardèche, La Rochelle et Paris. Scientifique de formation, il enseigne la Physique. Son écriture, fragmentaire, digressive et vagabonde, est attentives aux traces, au moindre détail porteur de mémoire.
La ville, comme territoire, est un assemblage de surfaces que
chacun recompose. Notre perception globale de l’espace est faite de ces
lieux chacun vécus comme une totalité (le quartier, la galerie
commerciale, le cinéma des sorties, l’espace des activités
sportives, l’ultra-centre, et même les transports en commun peuvent être
considérés comme un espace indépendant du dehors, qui
s’exprime en durées plus qu’en distances).
Pourtant, la ville, quand on fait l’expérience fascinante de la
regarder sur Google Earth, laisse percevoir son lien originel avec les grands éléments
naturels qui ont présidé à sa fondation.
Parfois, comme dans un chantier archéologique où chaque strate
dévoile une période ou une histoire, on est tout surpris de découvrir
la ville dans son épaisseur : ainsi, les vieilles lignes de voie
ferrée (les gares modernes sont elles aussi, désormais, à l’écart)
qui passent de la périphérie au centre-ville.
Ainsi, à New York, la fascinante ligne 7 du métro, qui traverse
vers le nord-nord ouest tout le Queens, jusqu’à Flushing Meadows,
métro aérien rectiligne, dont chaque station définit comme
une ville à part dans la ville.
Ainsi François Maspero, qui a consacré un livre à la
remontée tout droit de Paris périphérique, en suivant les
rails du Roissy Express, là où la ville a cessé.
Le livre que j’ai choisi est modeste : Les
sources du Nil, de Jean-Jacques Salgon,
est une traversée de La Rochelle, depuis le jardin public du centre-ville,
où on repère un petit cours d’eau d’agrément.
D’où vient-il, quelle est sa source ? Jean-Jacques Salgon remonte
rue par rue la ville, via immeubles, nouveaux lotissements, zone portuaire et
zones d’entrepôts et grandes surfaces, jusqu’où commence
la campagne.
Et si nous faisions nous-mêmes l’exercice ?
On peut le faire pour de vrai. Voir l’expérience de Nicolas Dion, étudiant
aux Beaux-Arts de Paris, photographiant et décrivant l’endroit
exact où, selon lui, pourrait cesser la ville : frontière,
transition, et quels sont les signes qui nous indiquent qu’ici subsiste
encore ce qui fait la ville ?
Jean-Jacques Salgon, qui venait deux jours par semaine enseigner à l’IUT
de La Rochelle, lui aussi l’a fait pour de vrai : chaque
chapitre de son livre est daté. L’expérience a duré deux
ans, fragment par fragment, traversant aussi bien un musée qu’un
cimetière.
Mais on peut le faire mentalement. Il suffit du point de départ, et de
visualiser intérieurement ce dont on se souvient. Mais le plus droit possible.
On aura ainsi une suite de cartes postales, autant de points fixes qui chacun
seront un état de la ville.
Consigne : la guerre au mot décrire. Que les mots collent
le plus directement possible à l’image de ce qu’on voit.
On ne transforme pas cela en récit, en phrase. La littérature,
c’est exactement le contraire : prendre ce qui a surgi, en lien avec
le réel, et s’en appuyer pour raconter. C’est au présent.
Un constat, fragment de ville par fragment de ville. Ici, c’est le réel
qui ouvre la langue.
On peut faire l’exercice pour sa propre ville, pour une
ville étrangère ou lointaine qu’on connaît bien,
ou même, pourquoi pas, tenter d’écrire deux textes en parallèle,
pour la ville d’ici et pour l’autre ville.
Et si, au passage, on découvre des lieux mystérieux comme des îles,
tant mieux.