ecrire la ville
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Né en 1948, Jean-Jacques Salgon vit entre l'Ardèche, La Rochelle et Paris. Scientifique de formation, il enseigne la Physique. Son écriture, fragmentaire, digressive et vagabonde, est attentives aux traces, au moindre détail porteur de mémoire.

textes d'appui
  • Remonter la ville, rue par rue, via immeubles, lotissements, zones d'entrepôts, de grandes surfaces, jusqu'où commence la campagne.
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Lectures

Plusieurs livres (dont la fabuleux Magasin d’antiquités de Dickens, quand Nell et son grand-père quittent Londres, tout droit, strate après strate et sans même savoir où ils vont) nous ont proposé l’expérience : partir tout droit, depuis là où on vit, jusqu’à ce que la ville ait cessé. Quelles sont les étapes, les images, les lieux dont jamais sinon l’écriture ne se serait emparée ? Et où s’arrête-t-elle, précisément, la ville ? Est-elle la même, de deux cents mètres en deux cents mètres, selon ce qu’on traverse ?

La ville, comme territoire, est un assemblage de surfaces que chacun recompose. Notre perception globale de l’espace est faite de ces lieux chacun vécus comme une totalité (le quartier, la galerie commerciale, le cinéma des sorties, l’espace des activités sportives, l’ultra-centre, et même les transports en commun peuvent être considérés comme un espace indépendant du dehors, qui s’exprime en durées plus qu’en distances).
Pourtant, la ville, quand on fait l’expérience fascinante de la regarder sur Google Earth, laisse percevoir son lien originel avec les grands éléments naturels qui ont présidé à sa fondation.
Parfois, comme dans un chantier archéologique où chaque strate dévoile une période ou une histoire, on est tout surpris de découvrir la ville dans son épaisseur : ainsi, les vieilles lignes de voie ferrée (les gares modernes sont elles aussi, désormais, à l’écart) qui passent de la périphérie au centre-ville.
Ainsi, à New York, la fascinante ligne 7 du métro, qui traverse vers le nord-nord ouest tout le Queens, jusqu’à Flushing Meadows, métro aérien rectiligne, dont chaque station définit comme une ville à part dans la ville.
Ainsi  François Maspero, qui a consacré un livre à la remontée tout droit de Paris périphérique, en suivant les rails du Roissy Express, là où la ville a cessé.

Le livre que j’ai choisi est modeste : Les sources du Nil, de Jean-Jacques Salgon, est une traversée de La Rochelle, depuis le jardin public du centre-ville, où on repère un petit cours d’eau d’agrément. D’où vient-il, quelle est sa source ? Jean-Jacques Salgon remonte rue par rue la ville, via immeubles, nouveaux lotissements, zone portuaire et zones d’entrepôts et grandes surfaces, jusqu’où commence la campagne.
Et si nous faisions nous-mêmes l’exercice ?

On peut le faire pour de vrai. Voir l’expérience de Nicolas Dion, étudiant aux Beaux-Arts de Paris, photographiant et décrivant l’endroit exact où, selon lui, pourrait cesser la ville : frontière, transition, et quels sont les signes qui nous indiquent qu’ici subsiste encore ce qui fait la ville ?
Jean-Jacques Salgon, qui venait deux jours par semaine enseigner à l’IUT de La Rochelle, lui aussi l’a fait pour de vrai : chaque chapitre de son livre est daté. L’expérience a duré deux ans, fragment par fragment, traversant aussi bien un musée qu’un cimetière.
Mais on peut le faire mentalement. Il suffit du point de départ, et de visualiser intérieurement ce dont on se souvient. Mais le plus droit possible. On aura ainsi une suite de cartes postales, autant de points fixes qui chacun seront un état de la ville.
Consigne : la guerre au mot décrire. Que les mots collent le plus directement possible à l’image de ce qu’on voit. On ne transforme pas cela en récit, en phrase. La littérature, c’est exactement le contraire : prendre ce qui a surgi, en lien avec le réel, et s’en appuyer pour raconter. C’est au présent. Un constat, fragment de ville par fragment de ville. Ici, c’est le réel qui ouvre la langue.

On peut faire l’exercice pour sa propre ville, pour une ville étrangère ou lointaine qu’on connaît bien, ou même, pourquoi pas, tenter d’écrire deux textes en parallèle, pour la ville d’ici et pour l’autre ville.
Et si, au passage, on découvre des lieux mystérieux comme des îles, tant mieux.