Ce qui fonde la ville, ce sont nos circulations. C’est une banalité : la ville assemble les lieux pour nous fixes, l’appartement, la chambre, la maison, et des lieux qui n’ont valeur que pour la communauté : l’école, le bureau, l’usine. Puis elle subvient à nos besoins, commerces, administrations. Pour permettre que ces espaces jouent ensemble, s’organisent les circulations, les transits. La ville doit permettre des pics énormes (l’encombrement du métro le soir à 6 heures) et comporte de larges blancs (la même rue, un dimanche matin).
Mais c’est aussi la circulation dans le temps : lieux où on se succède, lieux où on se regroupe. Alors une quatrième définition, complémentaire des trois autres : les lieux d’attente, les lieux sas, les lieux vides qui permettent la régulation de la ville dans l’espace et le temps.
Ce n’est pas d’aujourd’hui, cela : les pièces de Molière ou de Racine se jouent dans les vestibules, les lieux de passage.
Quand la ville prend son visage moderne, elle aménage des « panoramas » (on en a compté jusqu’à 160 en Europe, dont une trentaine à Paris), où la reconstitution peinte ne peut se distinguer des objets réels du décor devant nous, et elle crée ses « passages », dans une époque où l’idée de vitrine sur la rue n’aurait pas été concevable. Walter Benjamin, dans ses Passages parisiens, à propos de Baudelaire, nous rappelle que la mode, une époque, était de venir y promener sa tortue.
Avec la forme contemporaine de la ville, ces lieux prennent un nouveau statut. On se retrouve à plusieurs : c’est dans le hall d’immeuble, et on se souvient de déclarations politiques fracassantes sur l’illégitimité à s’y rassembler.
On a des heures à perdre dans la ville : on sait où trouver les galeries commerciales (les vigiles ont pour consigne de faire circuler les sans-abri), on se retrouve à la gare, parce que c’est aussi le plus sûr moyen de rencontrer les autres, toutes les circulations différentes y convergeant.
Mais il y a aussi tous ces lieux et pièces où on a attendu : salles d’attente de médecins, d’hôpitaux, examens ou administrations, sans parler des commissariats. Arrêts de bus, quais de métro, ou le coin de rue où on vient à l’avance pour le co-voiturage. Ou bien là où on s’installe pour le sandwich du midi. Ou les heures perdues, même sans jouer, dans une salle de jeux vidéos. Ou la façon dont la restauration rapide a compris ce qu’elle pouvait retirer, en aménageant des lieux intermédiaires, qui soient à la fois de rencontres et d’attente.
Ainsi, en décrivant ces lieux « intermédiaires », mais en les détaillant avec précision, aménagement, décorations, publicités, vigiles et secrétaires ou guichet d’accueil, mais aussi ce qui s’y passe, comment on y attend, qu’est-ce qu’on y fait et de quoi on y parle, pourrons-nous entrer dans l’état le plus contemporain de la ville.
Un immense auteur, mort il y a 20 ans, en a fait le lieu de son théâtre : Bernard-Marie Koltès.
Noter, dans les extraits pris à Quai Ouest, que Koltès transcrit d’une part les sensations et perceptions du narrateur qui se déplace dans le lieu, d’autre part les retranscrit par un « vous » qui y guide son lecteur. Ces deux éléments seront une aide importante pour la consigne. On peut aussi suggérer aux participants de commencer par recenser la liste de ces lieux, les leurs, qui coïncident avec la consigne, avant d’en choisir un pour développer le texte.