Chrétiens exceptionnels par leur mort, les martyrs furent les premiers intercesseurs entre Dieu et les hommes. Cette fonction sotériologique n’était pas reconnue aux anciens héros. Avec la disparition des persécutions et la légalisation du christianisme au IVe siècle, ce sont les confesseurs, les évêques, les ascètes, qui deviennent des modèles de perfection.
Saint- Martin, l' "athlète de la foi"
Né en 316 et mort en 397, Saint Martin de Tours fut pendant tout le Moyen-Âge et une partie de l’époque moderne, un des saints les plus populaires. Ses premiers biographes sont Sulpice Sévère, au IVe siècle, puis Grégoire de Tours, au VIe siècle. Ces derniers ajoutèrent dans leurs hagiographies de nombreux éléments légendaires (au sens premier de ce qui doit être lu) pour faire de lui un modèle d’homme d’action et de mystique, et furent à l’origine de sa renommée. La Vie de Martin de Sulpice Sévère, par la succession d’épisodes anecdotiques et miraculeux du moine-évêque, dont le plus connu est celui du manteau partagé, est devenue un modèle hagiographique et une source d’inspiration pour les artistes durant tout le Moyen-Âge. Cet ancien légionnaire romain, perpétuel migrant, fut ermite, évêque, "athlète de la foi" contre le paganisme. La relique de son manteau (sa "cape") serait, par glissement métonymique, à l’origine du mot "chapelle" et de nos jours encore, des centaines de communes portent son nom. En racontant la vie de ce "soldat du Christ" devenu saint patron du royaume de France, Sulpice Sévère a voulu faire une "œuvre utile" qui devait servir "ensuite d’exemple aux autres : à coup sûr, cela incitera les lecteurs à la vraie sagesse, à la milice céleste et à la vertu divine".
Les Pères de l’Église débattent, au IVe siècle, des ressemblances et des différences entre les héros et les saints. Les deux figures peuvent se nourrir l’une de l’autre : on évoque les vertus et les expériences héroïques du saint, qui lutte contre les passions et les vices, mais les héros anciens sont détrônés par des personnages dont la popularité est liée à leurs capacités surnaturelles à faire des miracles et leur ancrage dans le local. Les saints sont pour l’Église des modèles à imiter et, pour tous, des guides spirituels dans la voie du salut. À partir du Xe siècle la papauté cherche à contrôler, par les procès de canonisation, la qualification des grands hommes médiévaux. Au XIIIe siècle, les critères deviennent plus stricts, les procédures officielles plus coûteuses, creusant ainsi le fossé avec les saints populaires, sauveurs dont les précieuses reliques, souvent objets de dévotion spontanée, sont âprement disputées.