Héros

Le roi

 
Un autre personnage tente de s’ériger en modèle conciliant vertus chevaleresques et chrétiennes, c’est le roi. Présentés comme héritiers des souverains bibliques, tel David, "les nouveaux héros de l’art de gouverner sont les rois", qui associent les trois fonctions sociales fondamentales : ils sont en même temps juges, guerriers et bienfaiteurs.

Charlemagne versus Arthur

Il est vrai que le roi détrône progressivement l’empereur dans la course à la sacralisation au sommet de la société féodale, mais l’empereur Charlemagne est un des principaux héros du Moyen-Âge et de l’histoire postérieure de l’Europe. Il est devenu mythique de son vivant (748-814), et la Vita Karoli, sa première biographie, rédigée par Éginhard vers 840, s’inspire de celle des Douze Césars de Suétone. Guerrier féroce contre les Saxons, protecteur de la papauté, défenseur de la foi, législateur, il est un héros complet, polyvalent et fondateur pour tous les souverains (les rois de France recevaient à leur couronnement la couronne ite de Charlemagne et son épée, "Joyeuse"). La légende de sa barbe fleurie, son portrait en colosse, les nombreuses exhumations de son cadavre, montrent que son corps est paré de vertus qui n’ont cessé de fasciner.
Arthur, chef de guerre qui aurait vécu au VIe siècle, est devenu, à l’instar de Charlemagne, un personnage mythique, un modèle de souverain idéal au Moyen-Âge, happé par l’imaginaire d’un mythe littéraire très fécond qui s’est élaboré au XIIe siècle. Sa naissance merveilleuse, son existence glorieuse au côté des chevaliers de la Table ronde et sa mort mystérieuse sont conformes au modèle biographique héroïque fondamental. Figure bretonne instrumentalisée par les rois d’Angleterre, Arthur est devenu un héros rival de Charlemagne, dont les princes allemands et français avaient cherché le prestigieux parrainage.

Le bon roi saint Louis

Dans le royaume de France, la construction du personnage de saint Louis (1214-1270) comme héros médiéval a été minutieusement étudiée par l’historien Jacques le Goff. Il a montré comment l’entourage du roi a créé une image idéale et charismatique qui a permis à Louis IX d’être un des rares laïcs canonisés au Moyen-Âge. Les ordres mendiants ont proposé une figure exemplaire de roi chrétien dans une vie de Louis IX qui à la fois tient du récit hagiographique et du genre pédagogique du miroir des princes. Ils valorisent la dimension spirituelle de Louis IX quand les moines de l’abbaye bénédictine de Saint-Denis mettent l’accent sur le roi modèle. Ce dernier a fait réaménager la nécropole des rois de France et a commandé ce qui sera le noyau des Grandes Chroniques de France. Il s’inscrit dans une continuité dynastique et s’appuie sur les figures prestigieuses de Clovis et de Charlemagne.
Les chroniqueurs biographes contemporains (Joinville) montrent que Louis IX s’est efforcé en même temps d’incarner un modèle. Il "veut surtout réaliser l’idéal humain qui lui paraît le plus haut, celui qui, au XIIIsiècle, tend à remplacer les idéaux du preux et du courtois en les réunissant et en les domptant : l’idéal du prud’homme".
Les mutations économiques, sociales et techniques de la fin du Moyen-Âge entraînent un déclin du héros chevaleresque accompagné d’une exaltation de son idéologie. Au moment où les valeurs réalistes de la bourgeoisie et des légistes gagnent du terrain, où l’efficacité militaire du chevalier décroît, celui-ci est idéalisé comme en témoignent la création des ordres laïcs de chevalerie au XVe siècle et le succès littéraire du thème des neuf Preux et des neuf Preuses entre les XIVe et XVIe siècles. Personnages de l’Ancien Testament, de l’Antiquité et du Moyen-Âge, ces preux incarnent les rêves d’une aristocratie nostalgique qui cherche, dans un passé idéalisé, des héros prestigieux mais périmés. À travers les avatars du preux, ses errances entre réalité et fiction, les confusions entre légende et histoire, on comprend comment le héros a, au XVIIsiècle, pris le sens nouveau de personnage principal d’une œuvre littéraire. En s’émancipant de Dieu et de la réalité, le héros gagne une intériorité, une épaisseur psychologique, une autonomie de destin, que ne possédaient ni Achille ni Roland ; mais c’est au risque de douter de son action, de la voir disparaître de la narration et que surgisse l’antihéros.
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