Le roi absolu
Après sa prise effective du pouvoir en 1661, Louis XIV choisit ses modèles et construit son image. Le roi est le miroir, il est l’exemple en tout. Au début de son règne, il s’appuie sur la figure du grand conquérant macédonien. Dans les
Batailles d’Alexandre peintes par Charles Le Brun, l’assimilation au monarque est évidente. Le traité des Pyrénées (1658) et le mariage du roi avec Marie-Thérèse d’Autriche permettent de clore la guerre contre les Espagnols, mais Louis XIV ne cessera d’être un roi guerrier pendant la majeure partie de son règne, et sera héroïsé en
imperator romain, selon la tradition (tableaux, sculptures, almanachs…). C’est cependant en protecteur des arts que le Roi-Soleil choisira d’apparaître dans la propagande monarchique absolutiste, abandonnant aux hommes de guerre (le Grand Condé, Turenne) la dimension militaire.
Lorsque Bossuet prononce l’
Oraison funèbre de très haut et très puissant prince Louis de Bourbon, prince de Condé, premier du sang […] dans l’église de Nostre-Dame de Paris le 10e jour de mars 1687, c’est la figure du tout jeune duc d’Enghien, génie précoce et héros de la bataille de Rocroi qui surgit. Incontestablement, et après une vie de combats, Condé est alors un prince admirable, un guerrier exemplaire, tout comme Turenne, mort en 1675 sur le front de la bataille de Salzbach et autre héros du Grand Siècle. Comme le faisait avant lui Baltasar Gracián, auteur espagnol d
’El Héroe ("Le Héros"), en 1637, Bossuet rappelle néanmoins que la valeur du héros doit être soumise au divin. Le modèle est déjà et désormais l’honnête homme.
Éclipse du héros
La Bruyère peint dans les
Caractères le "Héros d'un rang élevé" comme soumis à la contingence de la naissance aristocratique : "Jetez-moi dans les troupes comme un simple soldat, je suis Thersite ; mettez-moi à la tête d'une armée dont j'aie à répondre à toute l'Europe, je suis Achille".
Pascal, quant à lui, comme d'autres moralistes, attaque le héros et son égoïsme attaché à la gloire ; il prône l'universalité de l'honnête homme, ennemi de tous les extrêmes. La figure de saint Louis émerge à nouveau, modèle de tous les comportements aristocratiques. Chargé de l'éducation du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, Fénelon écrit pour lui les
Aventures de Télémaque, roman éducatif publié à son insu, en 1699 : il ne décrit pas là un héros, mais un prince prudent et mesuré, instruit à la fois par son guide et par l'expérience. Le siècle héroïque n'en finit pas de mourir avec le monarque qui l'a modelé autour de sa personne. Voltaire, qui écrit
La Henriade (1728), poème en l'honneur d'Henri IV, travestit sous un masque ironique et érotique l'épopée de la
Pucelle d'Orléans (1762) complètement détournée et loin de toute héroïsation.