
 
  Comme les aventuriers, les sportifs se battent. Ils repoussent
    pour nombre d’entre eux les limites du possible, parfois avec des moyens
    (dopage, surentraînement) nocifs pour leur santé et leur équilibre.
    D’ailleurs, le culte de la performance, qui s’applique traditionnellement
    au monde des affaires et de l’entreprise, s’élargit dans
    les années 1980 quasiment à l’ensemble de la société.
    Mais la figure la plus exposée, la plus médiatisée – sur
    les affiches, sur les écrans, dans les médias – est le
    sportif. Aucun exploit ne parvient jusqu’au public sans être
    préparé, mis en scène, commenté à satiété.
    Le stade est désormais le champ de bataille d’une guerre symbolique,
    comme l’ont montré les sociologues du sport. Le héros
    sportif, succédané de guerrier, n’a pas grand-chose à voir
    avec le héros antique aristocratique. Ce ne sont plus les dieux qui
    parlent à travers ses exploits, c’est l’individu ordinaire
    qui accède à la célébrité. Le champ sportif
    révèle les tensions et les contradictions de nos sociétés.
    L’individu exhibe sa singularité tout en prétendant ressembler
    aux masses. Les valeurs méritocratiques et pacifistes mises en avant
    dans le discours sportif se heurtent souvent à la réalité des
    inégalités et de la violence, bien que l’affrontement
    soit théoriquement contraint par l’euphémisme du fair
    play et d’un code d’honneur sportif non écrit. Le combat
    se déroule en effet dans un espace et un temps dévolus à cette
    activité, dans l’étonnant sanctuaire qu’est le
    stade. Ce lieu moderne de construction épique vise à rendre équivalentes
    les figures médiatiques et les figures sportives au prix d’un
    dispositif d’héroïsation coûteux.
   
        
		  
L’héroïsation du footballeur français Zinedine Zidane
repose largement, comme pour le brésilien Pelé, sur la belle action
médiatisée et le modèle de réussite sociale… Le
sport choisit en effet de réserver "un sort tout particulier à celui
ou celle qui repousse les limites et se joue des barrières et des seuils :
l’être d’une extrême particularité, l’auteur
de l’ "incomparable", celui du "jamais vu", brusquement
projeté sur une autre scène encore, celle tout imaginaire de l’espace
légendaire et héroïsé". L’une des personnalités
préférées des Français, modèle d’intégration,
Zidane est mondialement connu et fait rêver. Le voisin d’en face
devient un surhomme, qui repousse les limites de la condition humaine, et parfois
un homme providentiel. L’image visible et véhiculée du footballeur
Zidane, c’est à la fois l’intelligence et la grâce du
geste, la figure monumentale et protectrice peinte sur un mur de Marseille, la
célébrité altruiste (parrain d’associations qui luttent
contre des maladies) et la violence du héros : tirs décisifs,
buts meurtriers, selon le vocabulaire des commentateurs, dont plusieurs "têtes" et
l’ultime "coup de boule" en finale de la coupe du monde 2006,
qui n’efface pas son exceptionnel parcours.