Révolutionnaire, martyr, idole, ce modèle
composite intègre des figures résistantes et politiques
comme Nelson Mandela (son destin est conforme au modèle héroïque :
ascendance royale, vie cachée, emprisonnement, retour triomphal,
présidence de l’État), l’Afghan Massoud
(le "lion du Panshir"), Gandhi ou Martin Luther King… Le
personnage le plus emblématique de cette famille est incontestablement
Ernesto Guevara de La Serna, plus connu sous le nom de Che Guevara,
né le 14 juin 1928 à Rosario (Argentine) et exécuté sommairement à La
Higuera (Bolivie) le 9 octobre 1967. Héritir des combattants
libérateurs latino-américains, ce révolutionnaire
marxiste internationaliste, véritable héros pour de
nombreux mouvements politiques dans le monde, est aussi devenu une
icône mythique. La malléabilité du visage barbu
coiffé d’un béret a autorisé toutes les
exploitations, y compris les plus provocatrices, comme l’association
de son effigie aux symboles du capitalisme américain. La preuve
est faite à nouveau : aucun personnage exceptionnel ne
maîtrise l’usage (le détournement, l’instrumentalisation)
que l’on fait de ses actes ou de son image, surtout après
sa mort. Le Che suscite aussi la controverse, d’autant plus
facilement que le "petit condottiere du XXe siècle",
intransigeant et mystérieux, fut radical dans son engagement
politique. Le héros des uns devient un terroriste pour les
autres, comme en témoignent les innombrables biographies passionnelles
du Comandante. Dans la construction du mythe guevariste, la photographie
a joué un rôle décisif et paradoxal : communiste
athée, on l’identifie par une image christique universellement
connue. Le portrait pris en 1960 par Alberto Korda, emblématique
du Guerillero héroico, fut utilisé massivement à partir
de 1967 : simplifié, décliné en affiches,
posters, tee-shirts puis détourné en pochettes de disques,
publicités, etc. Destin iconique étrange pour un homme
qui, à la tête de la Banque centrale de Cuba, caressait
l’idée de réduire le rôle du capital et
de la monnaie dans l’économie. La mise en scène
de sa mort dans la jungle bolivienne l’a propulsé au
rang de martyr. La diffusion de ces images célébrissimes
se développe après la mort de Che Guevara dont le culte
grandit non seulement à Cuba mais aussi, dès 1968,
auprès de la jeunesse occidentale. L’image du Che s’est
affranchie du personnage réel et poursuit sa vie propre puisqu’après
avoir incarné une idée de la révolution, elle
inspire aussi bien la rébellion que l’univers de la
consommation.