Héros

Les héros dans un univers mondialisé

Odile Faliu et Marc Tourret
 
Nous vivons à une époque où il n’est rien qui ne finisse sur les planches : les rois, les héros, les satyres. Tout finit par le magazine.
Alexandre Vialatte
Après la Seconde Guerre mondiale, l’univers héroïque est profondément recomposé dans le monde occidental. L’horreur du conflit international a fait naître la volonté de reconstruire, sur ce champ de ruines, un monde fondé sur des valeurs de justice, de solidarité, d’humanisme. La détestation profonde des idéologies meurtrières, de la propagande nourrie d’images et de clichés ayant permis de tels désastres, fait suspecter et craindre l’exploitation et la manipulation du concept de héros. Ainsi, sous sa forme guerrière du moins, celui-ci est-il presque systématiquement écarté de la grammaire démocratique. Par ailleurs, la nouvelle lecture du monde par les sciences sociales a eu tendance à minorer le rôle du héros, de l’action d’éclat, au profit du système, de l’évolution historique longue (École des Annales, structuralisme).
Stefan Zweig parlait de "cet éternel besoin de fabriquer des héros", et l’on sait le rôle que jouent les modèles dans le processus de construction des individus ou des groupes humains… Concentrateurs d’énergies, draineurs de rêves, exutoires de violences, les héros persistent, sous une forme atténuée, et s’illustrent avec une vigueur nouvelle dans l’imaginaire et la fiction. Le héros guerrier étant périmé (dans la vie réelle, mais nullement dans la fiction : films, jeux vidéos, etc.), les générations nouvelles trouvent, s’inventent, ou se laissent imposer des modèles adaptés à leur époque, afin de répondre à leur besoin d’admirer, de s’enflammer, d’adhérer à une cause, à des valeurs. Munis de plusieurs traits récurrents de l’imaginaire héroïque (jeunesse, acte décisif symbolique, qualités exceptionnelles, combativité, volonté de vaincre…), et leur héroïsation engendrant les comportements attendus (construction d’un mythe, pratiques cultuelles…), plusieurs figures émergent ainsi et viennent occuper le devant de la scène
Les héros politiques, qui combattent pour un monde nouveau et veulent renverser l’ordre établi, connaissent un succès certain jusque dans les années 1970 – les emblématiques "gueules noires" (mineurs de fond) ou bien encore Martin Luther King, Che Guevara, Nelson Mandela.
Beaucoup de héros sont des créatures de fiction : cow-boys solitaires, Hercules de péplums, agents secrets, super-héros, personnages de fantasy : nés dans la littérature ou la BD, ils s’épanouissent dans tous les domaines de l’audiovisuel et du multimédia. Des figures plus éphémères, mais souvent à portée planétaire, comme les aventuriers ou les sportifs, incarnant réussite individuelle et célébrité, se rapprochent des stars et témoignent de l’usure rapide des héros d’aujourd’hui. Le système médiatique exploite à l’extrême ce processus narcissique, en créant, propulsant puis rejetant, dans la foulée, des héros d’un jour, ou d’une minorité, aussi rapidement sortis des unes de journaux, des écrans audiovisuels et des mémoires que ceux qui viendront le lendemain les remplacer. Mais peut-être les héros gagnent-ils en aura planétaire, de nos jours, ce qu’ils perdent en durée de vie héroïque ?
Si l’on constate que le héros contemporain est avant tout composite, d’aucuns pourront même le trouver factice, populaire et, surtout, virtuel. Quoi qu’il en soit, la place, étroite, congrue, réservée aux femmes dans l’univers héroïque aura des chances d’être modifiée dans l’évolution du modèle traditionnel du héros. Et ce dernier, pour être accepté et partagé, devra être en mesure d’intégrer d’autres valeurs que par le passé, l’archétype guerrier étant néanmoins toujours susceptible de renaître : ainsi, les événements tragiques du 11 septembre 2001, aux États-Unis, les conflits communautaristes, ailleurs, projettent-ils ainsi dans toute la violence, l’immédiateté et l’absence de doute dans leur engagement, des figures de type héroïque – héroïsées, patriotiques, nationalistes ou religieuses… À quoi servent encore ces héros dont nous avons hérité ? À quoi serviront ceux que nous accepterons de construire, de célébrer, d’ériger en modèles? C’est, au travers de l’enseignement de l’histoire et de la lecture du monde proposée aux générations futures, que la question restera ouverte.

Neuf familles héroïques sous l’oeil des médias

Le nom de Gilgamesh, héros-roi d’Uruk, nous est légué par un récit légendaire de la Mésopotamie ancienne. Il a été honoré dans l’Antiquité pendant vingt siècles. Quel héros peut aujourd’hui prétendre demeurer dans la mémoire humaine ne serait-ce que quelques décennies ? D’autres figures ont, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pris la place autrefois souvent réservée au guerrier. Jamais peut-être le terme de héros n’a-t-il été plus galvaudé ni plus polysémique qu’aujourd’hui. Dans ce "héros aux mille visages", on lira aisément la fabrique héroïque, mise en forme grossière mais efficace de la culture de masse. Les héros d’aujourd’hui, virtuels, starifiés, composites, sont produits essentiellement par le système médiatique. Du modèle hérité des siècles précédents ne subsistent que des ersatz incomplets, parfois leurres, parfois réels, certains pourtant toujours dignes d’admiration. Bâtir des typologies héroïques est une tentation ancienne. D’une exhaustivité souvent illusoire, elles se révèlent toujours éclairantes sur les valeurs de leur époque. Ainsi proposons-nous aujourd’hui un semblable inventaire, diffracté en neuf familles. Nombre d’invariants héroïques y subsistent, témoignant de la "rêverie d’excellence" dont parle Philippe Sellier. Les héros reconnus et désignés comme tels changent selon les catégories sociales, les âges et les sexes. On ne trouvera ici que des figures connues dont l’analyse sociologique mériterait d’être approfondie.
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