Comment concilier aujourd’hui l’engagement
physique, la violence de l’action héroïque et les
valeurs humanistes et pacifistes prédominantes, notamment
en Europe ? Disqualifier le héros revient à répéter
sa condamnation par la philosophie des Lumières : "La
patrie d’un sage est la Terre, son héros est le genre
humain". Prôner l’action non violente, en particulier
celle de l’activiste humanitaire, des forces de maintien de
la paix, du militant des droits de l’homme correspond davantage
au choix de nos contemporains, notamment des jeunes Français.
Mère Teresa, religieuse catholique fondatrice de l’ordre
des Missionnaires de la charité, béatifiée en
2003, et Henri Grouès, l’abbé Pierre, décédé en
2007, s’inscrivent, par leur lutte active contre la misère,
dans cette catégorie qui essaie de conjuguer humanisme et
héroïsme. Les positionnements politiques sont variés
mais le vocabulaire est toujours celui de la bataille : l’ "insurrection
de la bonté" déclenchée par l’abbé Pierre
en 1954, les combats pour témoigner ou sauver des vies. Souvent
forte, la médiatisation est nécessaire pour recueillir
des fonds, pour la plupart privés. Elle peut entraîner
des dérives, un brouillage entre héroïsme et célébrité (Lady
Diana), des querelles d’opportunité (Médecins
sans frontières, en 1979). Deux professions confrontées
au danger réconcilient héroïsme et humanisme et
fournissent sans conteste des sujets d’admiration : pour
le journaliste, c’est le combat pour l’information, la
défense des droits de l’homme, la démocratie
(James Nachtwey, reporter de guerre, Anna Politkovskaïa, journaliste
assassinée, spécialiste de la Tchétchénie) ;
pour le pompier, héros collectif extrêmement populaire,
c’est l’éternel combat du soldat du feu et le
sauvetage de vies humaines.
À ces personnages réels correspond une production culturelle
de masse qui double dans le domaine de la fiction les actions réelles
sur le terrain. Citons, parmi d’autres, le personnage de Docteur
Justice, attaché à l’Orgaisation mondiale de
la santé, les pompiers new-yorkais, héroïsés
par les dessinateurs de comics américains après le
11 septembre 2001, ou Food Force, "premier jeu vidéo
humanitaire éducatif", sorti en 2005, soutenu par le
Programme alimentaire mondial des Nations unies, et censé sensibiliser
les enfants joueurs aux enjeux de la faim dans le monde.