"Mon compagnon, Roland, l’olifant, sonnez-le !
Charles l’entendra, il fera revenir l’armée,
Nous secourra avec tous ses chevaliers."
Roland répond : "Ne plaise à Dieu, notre seigneur,
Qu’à cause de moi mes parents soient blâmés
Que la France la douce sombre dans le déshonneur !"
La Chanson de Roland
La chanson exalte donc la fidélité du vassal, l’honneur lignager, le compagnonnage héroïque, composants essentiels d’une féodalité idéale. L’archevêque Turpin, qui participe au massacre, représente l’Église mais il valorise davantage ceux qui combattent que ceux qui prient :
L’archevêque dit : "Voila qui est très bien !
Voilà comment doit montrer sa valeur
Un chevalier armé et monté sur son bon destrier :
Ou autrement il ne vaut pas quatre deniers ;
Il doit se faire moine, plutôt, dans quelque monastère
Où toute sa vie il priera pour nos péchés."
(Ibid.)
L'idéal courtois du preux chevalier
Olivier est qualifié à deux reprises de "preux" et de "courtois". Le XII
e siècle inaugure en effet une nouvelle qualité nécessaire au chevalier, qui tente d’approcher la perfection. Doctrine amoureuse dans la poésie, la courtoisie est un idéal de vie dans le roman, nouveau genre littéraire écrit en langue romane, qui s’adresse à un public avant tout chevaleresque, et dont le contenu reflète les préoccupations des cours princières et des grands seigneurs féodaux. Le roman courtois, celui de Chrétien de Troyes notamment, qui puise dans la matière de Bretagne, met en scène, dans un univers arthurien magique, des héros doués de toutes les qualités : courageux, beaux, généreux et vaillants. Érec, Gauvain, Lancelot – "le meilleur chevalier du monde" –, ou Perceval, doivent poursuivre un idéal quasiment inaccessible puisqu’il s’agit de concilier amour de la dame, amour spirituel, vaillance, honneur. Cette quête du dépassement de soi est un éloge de la morale aristocratique – "sorte d’autoportrait flatteur que la chevalerie, sans cesse, observe pour mieux lui ressembler. Les guerriers de la réalité ont inspiré la littérature qui, à son tour, a façonné la chevalerie, modèle mythique pour des hommes qui s’en imprègnent, la rêvent et la vivent à la fois". La christianisation progressive du mythe arthurien dont témoignent les métamorphoses du Graal, montre que la définition de l’excellence et de la morale idéale est un enjeu entre le discours laïc de l’aristocratie et celui, religieux, de l’Église. Même si des personnages durables comme saint Georges figurent à l’intersection du chevalier et du saint, l’irruption de l’érotique "courtoise" comme valeur profane a creusé une nouvelle différence entre l’image du saint et celle du héros : on sait que la sainteté est l’affaire d’une vie alors qu’un acte suffit à être héroïque ; le saint est humble quand le héros cherche la gloire et, surtout, le potentiel érotique, la dimension sexuelle du héros, vont s’opposer à l’abstinence du saint.