En se concentrant sur la « zone »,
cette ère
géographique comprise entre les fortifications et la banlieue,
Atget fait le portrait d’une population inscrite dans un
environnement marginal et spécifique. Plus encore, il photographie
un lieu de tension, entre ville et campagne, où une partie
de l’histoire de la formation de Paris s’est écrite.
Le sujet de l’album est donc défini par une actualité et
une nécessité historique. D’un côté,
le sort des fortifications est scellé depuis la fin du
XIX
e siècle – elles
ne sont définitivement
condamnées qu’en 1913 –, de l’autre,
face à leur prochaine disparition, il devient indispensable
d’en garder le souvenir par l’image.
L’histoire de la zone
non ædificandi est
consubstantielle à celle des fortifications qui la délimitent.
Pressentie dès la création d’un Comité des
fortifications en 1830, la construction de l’enceinte de
Paris avait suscité de nombreux débats. Le projet
de Thiers a été voté à la Chambre des
pairs, et la loi promulguée le 3 avril 1841. À l’extérieur
du mur, la zone de servitudes militaires unique de 250 mètres
a été créée selon la loi du 10 juillet
1791.
Théoriquement, aucune construction ne doit s’édifier
sur cette bande de terre vierge. Mais, après la guerre de
1870 et la Commune, devant l’inutilité du dispositif
des fortifications avec l’évolution des techniques
de bataille, l’occupation de la zone s’est intensifiée.
Des baraquements, des roulottes ou de petites villas sont apparus.
Des ouvriers, des petits
métiers – souvent des
chiffonniers – habitent ces cités. Parmi eux,
des mendiants, des marginaux inquiètent.
L’album d’une soixantaine de photographies sur les
zoniers réalisé en 1912-1913 peut être mis en
correspondance avec les photographies de Lewis Hine, notamment celles
de la collection du
National Child Labor Committee et les
commandes de la
Farm Security Administration des
années 1930 aux États-Unis, notamment les photographies
de Dorothea Lange, toutes disponibles sur le site de la
Library
of Congress. Plus récemment les photographies de Zwelethu
Mthethwa sur les habitants des townships d’Afrique du Sud ouvrent à une
approche comparative particulièrement intéressante.
L’étude de cet album, liée à la littérature
sur les franges de la ville, recouvre aussi bien les photographies de clochards,
classés dans "Les petits métiers" que la "zone",
les limites de la ville et les cités (
Cité Doré).
Pour en apprécier la topographie, un détour par les photographies
d’Atget
sur les fortifications, accompagné par leur représentation par
les peintres (Pissaro, Van Gogh…) et dans la littérature (Zola,
Huysmans…) n’est pas inutile.