Joseph Epstein incarne le héros occulté ou oublié.
Il révèle la béance qui peut exister entre la réalité des
actes accomplis et le processus hasardeux et complexe de l'héroïsation.
Sa vie entière est une succession de combats exceptionnels. Né le
16 octobre 1911 en Pologne dans une famille de la bourgeoisie juive aisée,
il entame des études de droit à Varsovie tout en militant au
parti communiste polonais. Sa lutte contre la dictature de Pilsudski l'oblige à émigrer
en Tchécoslovaquie puis en France où il achève ses études
de droit. Engagé dans les Brigades internationales, il est grièvement
blessé en Espagne en 1936 mais organise un trafic d'armes pour soutenir
l'Espagne républicaine avant de combattre à nouveau de manière
très courageuse dans la bataille de l'Èbre en 1938. Interné au
camp de Gurs par les autorités françaises, il s'en échappe
avant de s'engager dans l'armée polonaise de France en 1939. Fait
prisonnier par les Allemands en 1940, il est interné au Stalag IV
près de Leipzig d'où il parvient à s'évader.
Il rejoint Paris en décembre 1940 et retrouve le parti communiste
français qui, conscient des grandes qualités intellectuelles
et militaires de Joseph Epstein lui confie des responsabilités importantes
dans la lutte clandestine contre l'occupant. En 1943, le colonel Gilles,
alias Epstein, devient chef militaire des Francs Tireurs et Partisans (FTP)
de l'interrégion de Paris, de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne.
Il intensifie la lutte armée mais il est arrêté avec
Missak Manouchian, le chef des FTP-MOI (Main-d'ouvre immigrée), à la
gare d'Évry Petit-Bourg le 16 novembre 1943. Atrocement torturé par
les inspecteurs des Brigades spéciales, il évite les aveux
précis, ne livre aucun nom, pas même son identité.
Le 11 avril 1944, après avoir écrit une dernière lettre à sa
femme et à son fils, Georges Duffau, il est fusillé au mont
Valérien sous le nom de Joseph Andrej, son nom de combattant lors
de la guerre d'Espagne. Trop internationaliste pour figurer en bonne place
dans la représentation unanimiste de la Résistance française,
forgée au sortir de la guerre par les gaullistes et les communistes,
il est ensuite victime des répercussions de la Guerre froide sur la
mémoire de la Résistance. Il faut attendre les années
1980 pour que soit progressivement reconnue, non sans débats, l'importance
de l'engagement des étrangers dans la Résistance française.
Depuis le 11 avril 2005, une petite place du XXe arrondissement de Paris
porte le nom de ce héros au souvenir fragile.